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Libération
«Loi Poutine»

Géorgie : que comporte le projet de loi controversé sur l’«influence étrangère» adopté au Parlement ?

Ce mercredi 15 mai, l’Union européenne, l’Otan et l’ONU dénoncent de concert l’adoption du texte polémique par le Parlement géorgien au lendemain de sa décision, prise malgré la mobilisation dans la rue. «Libé» fait le point sur la situation.
A Tbilissi, lors d'une manifestation contre la «loi Poutine» devant le Parlement géorgien, le 14 mai 2024. (Giorgi Arjevanidze /AFP)
publié le 14 mai 2024 à 15h53

L’ampleur des manifestations de milliers de citoyens n’aura pas suffi à détourner la Géorgie de l’influence de Moscou. Ce petit pays du Caucase de 3,7 millions d’habitants a adopté mardi 14 mai la loi controversée sur l’«influence étrangère» en troisième et dernière lecture, à 84 voix «pour» et à 30 voix «contre». Un texte qui, selon ses détracteurs, se rapproche d’une loi russe répressive sur les «agents de l’étranger», d’où son surnom de «loi Poutine», et qui éloignerait le pays de ses aspirations européennes. Le Premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidzé, avait promis que le Parlement voterait ce projet de loi en assurant suivre «la volonté de la majorité de la population». Ce mercredi 15 mai, l’Union européenne et l’Otan ont tous deux dénoncé la décision du Parlement.

Que contient la loi sur l’ «influence étrangère» ?

Cette nouvelle loi, portée par le parti Rêve géorgien au pouvoir depuis 2012, prévoit que toute ONG ou média recevant plus de 20 % de son financement de l’étranger devra s’enregistrer en tant qu’«organisation promouvant les intérêts d’une puissance étrangère». Ce faisant, elle sera sommée de remplir une déclaration financière annuelle publique, ou de payer de lourdes amendes. En Géorgie, de nombreuses organisations et médias indépendants survivent pourtant grâce à des subventions étrangères, dans un contexte économique difficile. Avec cette loi, la plupart seraient contraintes de céder leurs activités et risqueraient, à terme, de disparaître, alertent ses détracteurs.

Pourquoi est-elle autant controversée ?

De nombreuses organisations et médias russes ont déjà subi un tel sort. Ils ont été frappés de plein fouet par la loi sur les «agents de l’étranger» que le Kremlin a utilisé pour réprimer la société civile et étouffer les médias indépendants et les voix critiques du régime. D’où la crainte de l’opposition géorgienne : le projet de loi, retiré l’année dernière après une première lecture et deux jours de manifestations violentes, risque d’avoir des conséquences similaires.

Les manifestants pointent du doigt une législation liberticide, qui pourrait menacer le rapprochement de la Géorgie, ancienne république soviétique, avec l’Union européenne. L’UE – qui a accordé en décembre à la Géorgie le statut de candidat – avait demandé l’abandon du texte, estimant qu’il va à l’encontre du programme de réformes que le pays doit entreprendre pour progresser sur la voie de l’adhésion. Le projet de loi actuel «éloignera la Géorgie de l’UE au lieu de l’en rapprocher», avait par ailleurs affirmé sur X (anciennement Twitter) le président du Conseil européen, Charles Michel. Washington avait également réaffirmé son opposition au projet. De son côté, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait salué «la ferme volonté des dirigeants géorgiens de protéger leur pays contre toute ingérence flagrante dans ses affaires».

Comment l’opposition au texte se mobilise-t-elle ?

Mardi 14 mai, des centaines de jeunes manifestants étaient déjà réunies devant le Parlement géorgien en milieu de journée, en prévision du vote des élus. Pendant trois nuits consécutives, des milliers de personnes ont protesté devant l’organe du pouvoir à Tbilissi, la capitale. Depuis un mois, la Géorgie est secouée par de grandes manifestations, dont la jeunesse constitue le fer de lance. Certaines ont été violemment réprimées par la police.

La présidente de la Géorgie, Salomé Zourabichvili, une pro-européenne en conflit avec le parti du pouvoir, soutient les manifestants. Une fois le texte voté, elle devrait mettre son veto, quoique Rêve géorgien assure avoir assez de voix pour passer outre. «Au-delà de la rue, l’objectif ce sont les élections [législatives d’octobre], qui seront une sorte de référendum pro-européen, a-t-elle déclaré début mai dans une interview donnée à Libération. […] Je n’ai aucun doute concernant la réponse que donnera la population géorgienne.»

Quelles réactions suite à l’adoption de la loi ?

Au lendemain de l’adoption de cette loi controversée, le chef de la diplomatie de l’Union européenne Josep Borrell a appelé ce mercredi la Géorgie à la «retirer». Cette adoption «a un impact négatif sur les progrès de la Géorgie dans son cheminement vers l’UE», a-t-il souligné dans un communiqué publié conjointement avec la Commission européenne.

Il s’agit d’«un pas dans la mauvaise direction», qui «éloigne» le pays de l’intégration à l’UE et à l’Otan, a déclaré de son côté la porte-parole de l’Alliance atlantique, Farah Dakhlallah. Et celle-ci d’ajouter : «Nous demandons instamment à la Géorgie de changer de cap et de respecter le droit de manifester pacifiquement».

Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, a aussi dit «regretter profondément» cette adoption. «Les autorités et les législateurs ont choisi d’ignorer les nombreux avertissements des défenseurs des droits humains et des organisations de la société civile. Les impacts sur les droits à la liberté d’expression et d’association en Géorgie risquent malheureusement désormais d’être importants», a-t-il regretté.

Mise à jour : ce mercredi 15 mai à 13h02, avec l’ajout des déclarations du représentant de l’ONU.