C’est un chapitre particulier de l’histoire du socialisme grec qui se referme, avec le décès de Costas Simitis ce dimanche. Agé de 88 ans, cet ancien Premier ministre, qui fut aussi l’un des membres fondateurs du Pasok, le parti socialiste grec, aurait été pris d’un malaise dans sa résidence secondaire sur la côte nord du Péloponnèse, puis transporté d’urgence dans un hôpital de la ville voisine de Corinthe, où il s’est éteint.
Incarnation d’une gauche réformiste et pro-européenne, cet homme réputé austère, et doté en réalité d’un sens de l’humour grinçant, dirigea la Grèce entre 1996 et 2004, et sera surnommé «le Delors» ou encore «le Rocard» grec. Il restera dans l’histoire comme le chef de gouvernement qui a imposé l’entrée de la Grèce dans la zone euro, au prix de quelques compromissions avec la vérité des chiffres, révélées bien plus tard. Personne ne met cependant en doute sa probité, contrairement à d’autres ténors socialistes éclaboussés par des scandales à la fin des années 80. Ni son engagement sincère à transformer et moderniser l’économie grecque, s’opposant souvent à la ligne dominante d’un parti alors écrasé par la personnalité populiste et autoritaire d’Andréas Papandréou, longtemps son leader incontesté.
Opposant à la dictature
On oublie pourtant souvent que malgré sa réputation de technocrate, Simitis a réellement commencé sa carrière politique en posant des bombes, au cœur d’Athènes, et notamment place Syntagma, la nuit, sans jamais faire de victimes, aux premières heures de la dictature des Colonels qui a pris le pouvoir par un coup d’Etat en Grèce au printemps 1967. Membre fondateur d’un mouvement d’opposition à la junte, «Défense démocratique», cet avocat – alors trentenaire et père de deux très jeunes enfants – fuit clandestinement le pays en 1969 pour rejoindre l’Allemagne, aussitôt condamné par contumace à Athènes. Sa femme Daphné sera emprisonnée pendant deux mois en représailles, avant de pouvoir elle aussi quitter le pays. C’est en exil qu’il se rapproche réellement d’Andréas Papandréou, avec lequel il va fonder le Pasok dès le retour de la démocratie en 1974.
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En 1981, alors qu’une vague rose submerge l’Europe, les socialistes grecs arrivent eux aussi au pouvoir. Simitis sera plusieurs fois ministre dans les gouvernements d’Andréas Papandréou. D’abord nommé à l’Agriculture, il obtient en 1985 le portefeuille de l’Economie et impose une politique d’austérité budgétaire pour juguler une inflation à 18 %. Mais démissionne deux ans plus tard, alors que ses mesures de rigueur sont ouvertement remises en cause au sein d’un parti clientéliste, de plus en plus compromis dans des scandales de corruption. Le plus retentissant sera l’affaire Koskotas, du nom d’un banquier accusé de détournements de fonds, qui aurait livré des pots-de-vin aux ténors du Pasok, dont il provoque la chute en 1989. Simitis va dès lors prendre la tête d’un mouvement rénovateur au sein du parti socialiste grec, prônant la rupture avec les pratiques du passé.
L’homme de l’euro
C’est lors des élections de 1996, l’année de la mort d’Andréas Papandréou, qu’il devient finalement Premier ministre. Considéré comme libéral et pro-européen, il bénéficie d’une indéniable popularité et va s’efforcer d’assainir les dépenses publiques. Convaincu que la stabilité financière du pays ne sera garantie que par l’ancrage dans la zone euro, il se bat pour améliorer les performances de la Grèce et la rendre conforme aux critères de convergence de Maastricht.
Si l’entrée de la Grèce dans l’euro sera plus tard critiquée, cette stratégie à marche forcée aura cependant été validée avec la complaisance tacite de la plupart des partenaires du pays. Sans oublier le soutien de la banque Goldman Sachs, soupçonnée ensuite d’avoir contribué à arranger les comptes. Durant la même période, Simitis aura aussi contribué à moderniser la région d’Athènes, avec la construction du métro, de plusieurs axes autoroutiers et d’un nouvel aéroport. C’est lui qui obtiendra également que les Jeux olympiques se déroulent dans la capitale grecque en 2004, l’année où il quitte le pouvoir.
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Vingt ans plus tard, difficile d’imaginer l’ambiance optimiste qui régnait alors dans un pays où l’argent à crédit semblait intarissable. Un pays où le parti socialiste grec, malgré les scandales et l’usure du pouvoir, rassemblait plus de 40 % des voix à chaque élection. Simitis, lui, a quitté la vie politique en 2008, après avoir été désavoué par son groupe parlementaire pour s’être publiquement opposé à un référendum sur le traité de Lisbonne. Peu après, dès 2009, une crise financière inédite va dévaster la Grèce, et pousser les électeurs vers une gauche, plus radicale ou plus authentique, celle de Syriza, qui, arrivée au pouvoir en 2015, échouera dans son bras de fer avec Bruxelles, avant de céder la place à la droite. Quant au Pasok, il n’a cessé de voir son influence se restreindre et, bien qu’à nouveau troisième force du pays, ne récolte plus que 11 % des voix à chaque scrutin. Alors que Costas Simitis s’éteint, la gauche grecque reste, elle, encore à reconstruire.