Un aveu d’échec. Dans un entretien publié mercredi 1er novembre par l’hebdomadaire britannique The Economist, le général Valeri Zaloujny, chef des forces armées ukrainiennes, reconnaît «l’impasse» dans laquelle se trouve la contre-offensive amorcée par ses troupes au mois de juin. «Il n’y aura probablement pas de percée profonde et magnifique», concède le haut gradé, entérinant les déconvenues rencontrées par ses hommes, qui n’ont avancé que d’une vingtaine de kilomètres en cinq mois. Loin des objectifs énoncés cet été par Kyiv, qui espérait réaliser des percées décisives vers le sud et l’est pour reconquérir les territoires envahis l’année précédente par la Russie. A l’automne 2022, lors d’une première contre-offensive victorieuse, les troupes ukrainiennes avaient gagné du terrain dans la région orientale de Kharkiv.
Rien de tel, cette année : l’armée ukrainienne se heurte aux tranchées, aux champs de mines et aux barrages antichars qui constituent les lignes de défense ennemies, et s’enlise dans une guerre de position meurtrière. Les propos du général Zaloujny, qui marquent une nette rupture de communication au sein d’un état-major peu enclin aux déclarations défaitistes, illustrent ces difficultés, observées depuis plusieurs semaines par les services de renseignements occidentaux. «Si l’on regarde les manuels de l’Otan et les calculs que nous avions faits, quatre mois auraient dû suffire pour que nous atteignions la Crimée, que nous nous battions en Crimée, que nous repartions de Crimée et que nous y retournions encore une fois», grince le haut gradé, qui compare plusieurs fois la situation sur le terrain au front figé de la Première Guerre mondiale. A l’écouter, l’explication principale de l’impuissance ukrainienne est technologique : la guerre oppose deux armées équipées de matériel très avancé, et notamment de capteurs qui peuvent identifier toute concentration de forces et d’armes modernes pour les détruire.
«Armes de la génération précédente»
«Pour sortir de cette impasse, nous avons besoin de quelque chose de nouveau, comme la poudre à canon que les Chinois ont inventée et que nous utilisons encore pour nous entretuer […], reprend Valeri Zaloujny. Il est important de comprendre que cette guerre ne peut être gagnée avec les armes de la génération précédente et des méthodes dépassées.» Et de souligner la nécessité d’innovations en matière de drones, de guerre électronique, de défense antiaérienne ou de déminage. En creux, on peut lire une critique tempérée de l’ampleur et de la temporalité du soutien militaire des pays occidentaux, qui ont fourni plus de 200 milliards d’euros de chars de combat, véhicules blindés et autres armes sophistiquées. Suffisant pour contenir l’invasion russe, mais pas pour reconquérir les territoires perdus, suggère le général.
Ainsi regrette-t-il des retards dans la livraison de missiles de longue portée et de chars, qui ont permis aux forces russes de reconstituer leurs lignes de défense après la contre-offensive réussie de l’automne 2022. «Ces équipements étaient plus pertinents pour nous l’année dernière, mais ils ne sont arrivés que cette année. […] [Nos alliés] ne sont pas obligés de nous donner quoi que ce soit, et nous sommes reconnaissants de ce que nous avons obtenu. Je ne fais qu’exposer les faits», explique-t-il.
Spectre d’une guerre longue
Parce qu’elle est publique, la prise de parole de Valeri Zaloujny passe nécessairement sous silence d’autres fragilités de l’armée ukrainienne, que les exigences de la guerre appellent à garder secrètes. Mais en réduisant l’échec de la contre-offensive à une cause technologique, le haut gradé «esquive le problème de fond» : «la difficulté pour l’armée ukrainienne à changer de taille et de modèle», estime Vincent Tourret, chargé de recherche pour la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de la doctrine militaire russe, dans une série de messages publié sur le réseau social X (anciennement Twitter). «Sa massification rapide a dépassé ses capacités de gestion, logistiques et d’encadrement, la forçant à mener une bataille très méthodique, très localisée et linéaire, précise-t-il, ce qui a l’avantage de limiter les pertes mais qui conduit à faire reposer son succès sur l’attrition et le “rapfeu”», c’est-à-dire, dans le jargon militaire, le rapport de feux entre les artilleries des protagonistes d’une guerre.
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Près de deux ans après l’agression russe contre l’Ukraine, et alors que s’installe le spectre d’une guerre longue, le général Valeri Zaloujny défend toujours une stratégie offensive, convaincu que le temps joue contre son pays. «Soyons honnêtes, la Russie est un Etat féodal où la ressource la moins chère est la vie humaine. Et pour nous, la chose la plus chère que nous ayons, c’est notre peuple […]. Nous devons [réaliser cette innovation technologique], la maîtriser rapidement et l’utiliser pour remporter une victoire rapide. Car tôt ou tard, nous nous apercevrons que nous n’avons tout simplement pas assez de monde pour nous battre.» Quant au Kremlin, il a contesté ce jeudi que la guerre en Ukraine se trouvait dans une «impasse». «La Russie poursuit sans relâche son opération militaire spéciale» et «tous les objectifs fixés doivent être atteints», a indiqué Dmitri Peskov, porte-parole de l’exécutif russe.