Menu
Libération
Paramilitaires

Ukraine : guerre ouverte entre le chef du groupe Wagner et le commandement militaire russe

Evguéni Prigojine a accusé l’armée russe d’avoir bombardé ses propres combattants, appelant à une quasi-insurrection contre le commandement militaire russe. En riposte, les services de sécurité russes ont appelé les miliciens de Wagner à arrêter leur chef accusé d’avoir appelé à un «conflit civil armé» .
Evguéni Prigojine, chef du groupe paramilitaire Wagner./ (Yulia Morozova/REUTERS)
publié le 23 juin 2023 à 23h02
(mis à jour le 24 juin 2023 à 2h14)

Et si la guerre en Ukraine connaissait un nouveau front ? Russo-russe. Un combat d’homme à homme entre Vladimir Poutine et Evguéni Prigojine, le chef de la sinistre milice Wagner. Alors que la contre-offensive ukrainienne semble patiner, le patron du groupe paramilitaire a accusé vendredi 23 juin l’armée russe d’avoir mené des frappes meurtrières sur des camps de ses combattants à l’arrière du front ukrainien, en appelant au soulèvement contre le commandement militaire. Accusations aussitôt démenties par le ministère russe de la Défense.

«On continue, on ira jusqu’au bout», a dit Evguéni Prigojine dans un message audio sur Telegram, après avoir annoncé que ses forces «ont passé […] la frontière de l’Etat» russe alors qu’elles étaient déployées en Ukraine, et même être entré dans Rostov, ville de plus d’un million d’habitants dans le sud-ouest du pays et proche de la frontière avec l’Ukraine. Prigojine dit par ailleurs disposer de 25 000 combattants, sans apporter de preuve à ces propos. «Nous détruirons tout ce qui sera mis sur notre route», a-t-il ajouté.

Ce message intervient quelques heures après que Prigojine a affirmé que ces frappes ont fait un «très grand nombre de victimes». «Ils ont mené des frappes, des frappes de missiles, sur nos camps à l’arrière. Un très grand nombre de nos combattants ont été tués», a-t-il accusé dans un message audio. Il a promis de «répondre» à ces attaques ordonnées, selon lui, par le ministre russe de la Défense. Lequel a rétorqué que «ces supposées frappes ne correspondent pas à la réalité et sont une provocation». Le patron de Wagner dénonce depuis des mois l’incurie de l’armée russe dans ses opérations en Ukraine.

Ce nouvel échange entre les deux entités au cœur de l’offensive de la Russie en Ukraine expose à nouveau de manière spectaculaire les profondes tensions au sein des forces russes sur le sol ukrainien. «Le comité des commandements du groupe Wagner a décidé que ceux qui ont la responsabilité militaire du pays doivent être stoppés», a aussi dit le patron de Wagner dans un message audio, en appelant à ne pas opposer de «résistance» à ses troupes et en assurant que le ministre de Défense, Sergueï Choïgou, serait «stoppé». Il a appelé les Russes à les «rejoindre». «Nous allons déterminer pourquoi le chaos règne dans le pays […] Nos réserves stratégiques, ce sont toute l’armée et tout le pays», a-t-il exhorté, appelant à «mettre fin au désordre».

«Les mesures nécessaires sont en train d’être prises»

Le Kremlin a d’abord riposté via un communiqué du porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov : «Le président (Vladimir) Poutine est informé de tous les évènements autour de [Evguéni] Prigojine. Les mesures nécessaires sont en train d’être prises.»

Un peu plus tard dans la soirée, la sanction est tombée : les services de sécurité russes ont appelé les combattants du groupe paramilitaire Wagner à arrêter leur chef Evguéni Prigojine, accusé d’avoir appelé à un «conflit civil armé» en exhortant ses hommes à se soulever contre le commandement militaire. «Les allégations diffusées au nom d’Evguéni Prigojine n’ont aucun fondement. En lien avec celles-ci, le FSB (services de sécurité russes) a ouvert une enquête pour appel à la mutinerie armée», a indiqué le Comité national antiterroriste de Russie, dans un communiqué cité par les agences de presse russes. Le FSB a appelé les combattants de Wagner à arrêter leur chef, l’accusant d’appeler à «un conflit civil armé» par des «ordres criminels et traîtres». La Russie a par ailleurs affirmé dans la nuit que les forces ukrainiennes se préparaient à attaquer près de la ville de Bakhmout (est de l’Ukraine), en «profitant» du chaos provoqué par l’appel du chef du groupe Wagner au soulèvement contre l’état-major russe. Signe que les menaces de Prigojine sont prises au sérieux par le Kremlin, l’agence de presse d’Etat russe a ensuite annoncé des «mesures de sécurité renforcées» à Moscou.

De son côté, l’influent général russe Sergueï Sourovikine a appelé vendredi les combattants du groupe Wagner à s’«arrêter» et rentrer dans leurs casernes «avant qu’il ne soit trop tard» après l’appel de leur chef, Evguéni Prigojine, à se soulever contre le commandement militaire. «Je m’adresse aux combattants et chefs du groupe Wagner […] Nous sommes du même sang, nous sommes des guerriers. Je (vous) demande de vous arrêter», a-t-il dit dans une vidéo diffusée sur Telegram par un journaliste de la télévision d’Etat russe.

«Ils se lavent avec leur sang»

L’armée russe recule dans plusieurs secteurs du sud et l’est de l’Ukraine, avait indiqué au préalable vendredi le patron de Wagner, contredisant les affirmations du Kremlin selon qui la contre-offensive de Kiev est un échec. «L’armée (russe) se retire dans les zones de Zaporijjia et de Kherson (sud), les forces armées ukrainiennes poussent», a affirmé Evguéni Prigojine dans un entretien vidéo publié sur Telegram par son service de presse. «La même chose se passe à Bakhmout, l’ennemi pénétrera de plus en plus profondément dans notre défense», a ajouté l’homme d’affaires, en référence à une ville de l’est que les Russes affirment avoir capturée mais où les Ukrainiens disent avoir progressé sur les flancs ces dernières semaines. «Il n’y a aucun contrôle, il n’y a pas de succès militaires» de Moscou, a encore cinglé Prigojine, affirmant que les militaires russes «se lavent avec leur sang», une manière d’affirmer qu’ils subissent de lourdes pertes.

Invérifiables de source indépendante, les propos du patron de Wagner contredisent en tout cas ceux du président Vladimir Poutine et de Sergueï Choïgou, selon qui l’armée russe «repousse» tous les assauts ukrainiens. Ces derniers jours, Vladimir Poutine a répété que la contre-offensive ukrainienne était un échec et que les forces de Kyiv avaient essuyé des pertes quasi «catastrophiques». Jeudi 22 juin, Choïgou a assuré que l’armée ukrainienne était en train de se «regrouper» après avoir échoué à percer les défenses russes.

«Groupe de salauds»

Prigojine a qualifié de «profonde tromperie» ces fanfaronnades du ministère russe de la Défense, accusant l’état-major de «cacher» les difficultés et les pertes russes sur le terrain. Preuve toutefois que la contre-offensive ukrainienne est prise très au sérieux par Moscou, Poutine s’est exprimé à plusieurs reprises en quelques jours sur la situation sur le champ de bataille, alors qu’il avait tendance ces derniers mois à ne pas commenter en détail ce qu’il s’y passait.

Alors que de nombreux opposants et anonymes russes sont en prison pour avoir critiqué le conflit en Ukraine, le chef de Wagner a ouvertement remis en question vendredi les raisons pour lesquelles l’intervention militaire a été lancée. «La guerre était nécessaire pour qu’un groupe de salauds soit promu», a-t-il fustigé, accusant aussi «les oligarques» russes qui «avaient besoin de la guerre», alors que Kyiv était selon lui «prêt à n’importe quel accord».

Mise à jour à 00h30 : avec l’appel du FSB aux militaires du groupe Wagner d’arrêter leur propre chef pour mutinerie. Et celui du général Sergueï Sourovikine.

Mise à jour à 2 heures : avec le message de Wagner annonçant être entré dans Rostov.