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Herbert Kickl, d’éminence grise à nouveau visage de l’extrême droite autrichienne

Fort de son succès dans son rôle de leader d’un nouveau genre, le stratège du FPÖ espère sortir grand gagnant des élections législatives ce dimanche 29 septembre. Et se voit déjà devenir le «chancelier du peuple».
Herbert Kickl (au centre), lors d'un meeting du Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ), le 7 septembre. (Leonhard Foeger/Reuters)
publié le 27 septembre 2024 à 10h29

L’homme de l’ombre est entré dans la lumière, et il a surpris son monde. Herbert Kickl, ancienne éminence grise de son parti, montre aujourd’hui que l’extrême droite n’a pas, ou plus, besoin d’une personnalité flamboyante à sa tête pour réussir en Autriche. Aux antipodes des grands charmeurs qu’étaient ses prédécesseurs, l’actuel meneur du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) conquiert les électeurs en jouant un répertoire austère et agressif. Sa formation a de grandes chances de rafler la première place des législatives de ce dimanche 29 septembre, ce qui serait une première. Il espère donc former, dans la foulée, une coalition de gouvernement avec les conservateurs.

La dernière coalition de la droite avec l’extrême droite en Autriche remonte à 2019 et elle s’est terminée avec perte et fracas. C’est d’ailleurs à ce moment que s’est scellé le destin de Kickl, comme le montre une biographie (Kickl et la destruction de l’Europe, éditions Zsolnay, non traduit). Selon ses auteurs, les journalistes Gernot Bauer et Robert Treichler, Kickl est le «candidat à la chancellerie le plus difficile à cerner de l’histoire de la Seconde république d’Autriche».

Habile stratège

Pour comprendre, retour en 2019. Cette année-là, le patron du FPÖ s’appelle encore Heinz-Christian Strache. Le Viennois au style un peu bling-bling est vice-chancelier depuis un an et demi. Mais, en mai, le scandale d’Ibiza fait imploser en plein vol le gouvernement. Sur l’île espagnole, une soirée avinée, une caméra cachée : l’Autriche découvre une vidéo montrant Strache en train de magouiller avec une (fausse) oligarque russe, évoquant de manœuvres qui relèvent de la corruption. Il tombe en disgrâce et l’extrême droite à 16 % aux législatives anticipées qui suivent le scandale. Comment, seulement cinq ans plus tard, le parti occupe-t-il aujourd’hui la tête des sondages, à 27 % ? Grâce à Herbert Kickl.

Pendant un quart de siècle, l’homme aux lunettes austères était l’éternel numéro deux, d’abord en tant que plume du leader historique Jörg Haider, puis en qualité de stratège de Strache. Lors de l’entrée du FPÖ au gouvernement en 2017, il prend pour la première fois la lumière, au poste de ministre de l’Intérieur. On en retient une inquiétante razzia de police menée au siège des services secrets, ainsi qu’une tentative de lancer une police montée. Une mémorable photographie du ministre, juché lui-même sur un cheval, capture un sourire sincère – fait rare tant l’homme est ombrageux –, une joie d’enfant grandi dans un milieu ouvrier, dans le sud du pays, qui n’a pas eu le privilège de cours d’équitation.

Lorsque le scandale d’Ibiza le renvoie brutalement dans l’opposition, Herbert Kickl pousse ses camarades à une rupture nette avec Strache. Puis, il relance la machine, à la faveur du Covid-19. Le «cerveau» du FPÖ adopte, seul parmi les politiques autrichiens, une ligne antivax. Il capitalise jusqu’aujourd’hui sur la colère de ses concitoyens opposés à la vaccination obligatoire – décidée mais jamais entrée en vigueur. En 2021, à 52 ans, il est élu président de son parti. Dès lors, il se positionne en pourfendeur de l’«élite» et prend en modèle Viktor Orbán, le populiste Premier ministre de la Hongrie voisine, dont il voudrait s’inspirer pour fonder une «Autriche forteresse», qui n’accueillerait aucun réfugié, surtout pas musulman.

Radicalité inflexible

La remontada actuelle est la troisième que l’extrême droite autrichienne a connue au cours de son histoire, selon un même schéma : alors qu’elle semble K.-O., un homme fort surgit qui la mène vers un nouveau round victorieux. Le premier à réussir l’exploit est Haider, au tournant des années 2000 ; le deuxième est Strache, qui relève le parti après le départ de Haider et la découverte d’un système de malversations installé par celui-ci dans son fief du sud de l’Autriche. Déjà, le FPÖ se prenait les pieds dans le tapis de la corruption. Pourtant, cette fois, l’histoire ne se rejoue pas tout à fait à l’identique. «Non seulement Herbert Kickl a ramené son parti sur le devant de la scène en un temps record, mais il l’a fait sans modérer son style, ce qui le différencie de ses prédécesseurs», observe Laurenz Ennser-Jedenastik, chercheur en sciences politiques à l’université de Vienne.

Car Herbert Kickl, enfin devenu numéro un, ne se départ pas de la rhétorique provocatrice qui a fait son succès lorsqu’il composait des slogans acides en coulisses. En mars 2023, il annonce ainsi son intention de devenir «chancelier du peuple» en employant un vocable, Volkskanzler, emprunté à un autre Autrichien : Adolf Hitler. Kickl a suivi des études d’histoire et de philosophie, il ne peut ignorer l’origine du mot. Les commentateurs cherchent dans sa personnalité une explication à cette radicalité inflexible. On le sait marié et père d’un fils étudiant, mais il tient à protéger sa vie privée. Strache, comme Haider, était un bon vivant qui aimait la gloire. Le leader 3.0 du FPÖ, en revanche, est perçu comme un idéologue sec, mû par ses convictions.

Ce qui pousse ses biographes à une mise en garde : tandis que, par le passé, le populisme de droite à l’autrichienne suscitait le rejet à l’international, Kickl, lui, pourrait avancer ses pions plus facilement en cas d’arrivée au pouvoir. Sa radicalité est dans le «Zeitgeist», l’esprit du temps.