Demain à l’aube, il boira son café noir, revêtira sa salopette bleue, se munira d’une pelle et rejoindra «la brigade de la fumée», un groupe de villageois auto-organisé. Il leur faudra gravir la pente raide, en silence, jusqu’au promontoire et observer les environs : repérer de potentiels nouveaux foyers d’incendies, scruter les moindres broussailles, évaluer la progression d’un feu plus lointain… Et, à la moindre menace, étouffer les braises ou les flammèches, et poster aussitôt une vidéo sur le groupe WhatsApp de Segura de Toro, qui réunit les 180 habitants du village. Il ne dira pas son nom. Il souhaite rester anonyme, «un parmi les autres» : «Ici, c’est un pour tous, tous pour un, à la vie à la mort.» Il a le regard un peu flou, dit avoir perdu la notion du temps, être «un peu perdu après ces journées extrêmes».
En cet après-midi de relatif répit, sur la place centrale de Segura de Toro avec son animal éponyme sculpté dans la pierre, il lâche : «Ce que je sais, c’est que même si les groupes de pompiers ont été longtemps absents, si l’administration ne nous a pas secourus, si on s’est sentis seuls, nous, on a sauvé ce village, le nôtre.» A côté, un éleveur sexagénaire au visage endurci hoche la tête.
«Ce n’est pas le moment pour nous de voir des politiques poser pour une photo, alors que l’Etat a failli, alors qu’on tremble encore, qu’on dort à peine depuis une semaine !»
— Guillermo, un jeune de Segura de Toro