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Confidences

«Il a simplement peur» : Vladimir Poutine décrit par un ex-officier de son service de sécurité

Gleb Karakoulov est le plus haut membre des services de sécurité du président à avoir fait défection. Il décrit un président russe complètement isolé et paranoïaque.
Gleb Karakoulov a passé treize ans au service de Vladimir Poutine avant de s'enfuir. (AP)
par Salomé Kourdouli, correspondance à Washington
publié le 6 avril 2023 à 17h20

«Poutine est un criminel de guerre.» Venant d’un officier du service de sécurité (FSO) du président russe, la déclaration peut surprendre. Pourtant, Gleb Karakoulov est on ne peut plus catégorique. Après treize années de travail pour la sécurité de Vladimir Poutine, c’est finalement devenu insupportable. Il a tout quitté en octobre pour se réfugier à Istanbul, en profitant d’un déplacement professionnel au Kazakhstan. Dans une longue interview publiée par Dossier Center, le média de l’ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovski, Gleb Karakoulov décrit le luxe, l’isolement et la paranoïa dans lesquels baigne Vladimir Poutine.

Gleb Karakoulov est recruté par le FSO en 2009. Il opère en tant qu’ingénieur dans la direction des communications. Il doit s’assurer de la sécurité des canaux de communication de Vladimir Poutine et de son Premier ministre actuel, aujourd’hui Mikhaïl Michoustine. Bon officier dans un premier temps, Gleb Karakoulov commence à se poser des questions en 2014, au moment de l’annexion de la Crimée par la Russie. «Les gens n’avaient pas voté à 97 % pour le rattachement à la Russie comme on nous le disait, c’était plutôt 50-50», se souvient-il. Les années qui suivent, les exubérances de la présidence lui sautent aux yeux. Un service de sécurité plus qu’étendu, avec ses propres pompiers, ses ingénieurs, ses cuisiniers, ses agents. Des déplacements à l’étranger ultra-dépensiers, où la délégation entière de 200 personnes est logée dans un hôtel de luxe.

Coupé du monde

Le déclic survient en février 2022. Quand Vladimir Poutine lance son «opération militaire spéciale» en Ukraine, Gleb Karakoulov reste sous le choc. Puis viennent les problèmes de santé, sans doute «liés à toutes ces inquiétudes», qui le poussent à s’arrêter pendant trois mois. Alors qu’il lui reste un peu moins de deux ans avant la retraite, il prend la décision de faire défection. Il profite d’un déplacement au Kazakhstan, mi-octobre, où Vladimir Poutine doit assister à plusieurs réunions. Gleb Karakoulov réussit à garder son passeport sur lui – ce qui est exceptionnel, puisque les papiers d’identité des équipes de sécurité sont généralement conservés par leurs supérieurs –, et prend un vol pour Istanbul avec sa femme et sa fille. Il envisage un temps de parler de son projet à ses parents, pour fuir avec eux, mais y renonce : «Ils regardent la télévision.» Les chaînes russes ne diffusent que des images de propagande, à la gloire de Moscou et contre l’Ukraine. Quand Gleb Karakoulov essaie d’expliquer à sa mère que la guerre est non justifiée, sa réponse fuse : «Qu’est-ce que c’est alors ? Tu prévois de t’enfuir ? Tu es un agent étranger ?» Il n’aborde plus jamais le sujet.

Après treize années au cœur du pouvoir, Gleb Karakoulov décrit un président totalement coupé du monde. Ce n’est pas la première fois qu’est évoqué l’isolement de Vladimir Poutine, une enquête du Wall Street Journal le soulignait déjà en décembre. «Il n’a pas de téléphone», révèle Gleb Karakoulov. Il n’utilise pas non plus Internet, puisqu’un officier de son service de sécurité s’en charge à sa place. Seule demande du Président : «Il insiste pour avoir accès à la télévision russe où qu’il aille.» Pour s’informer, il ne s’appuie que sur son cercle rapproché, il est coincé dans une «bulle informationnelle» qui s’est refermée petit à petit depuis le début de la guerre.

Train blindé et bureaux reproduits à l’identique

Tout est aseptisé autour de lui : certains employés doivent encore aujourd’hui respecter une quarantaine pour pouvoir assister à une réunion dans la même salle que le Président. L’entourage proche doit même réaliser plusieurs tests PCR par jour. Le mystère autour de son état de santé interroge le monde entier depuis plusieurs années. Pourtant Gleb Karakoulov assure qu’il «a une santé bien meilleure que beaucoup de gens de son âge». Poutine n’aurait annulé qu’un ou deux voyages pour raisons de santé depuis 2009.

A Saint-Pétersbourg, Sotchi ou Novo-Ogaryovo, les bureaux de Vladimir Poutine sont reproduits à l’identique dans chacune de ses résidences. Les mêmes précautions sont prises pour les déplacements du Président, avec des faux cortèges ou des déplacements dans un train blindé, dont l’existence a été révélée récemment par Dossier Center. «Il a simplement peur», estime Gleb Karakoulov. De l’extérieur, le train blindé ressemble en tout point à un train classique, gris avec une bande rouge. Mais il est bien plus sécurisé, et s’arrête dans des gares privées pour éviter toute exposition. L’ancien officier des services de sécurité a également pu confirmer des révélations de FBK, l’équipe de l’opposant Alexeï Navalny. C’est notamment le cas du fameux «palais de Poutine», immense et luxueux sur les bords de la mer Noire. Même chose pour le Scheherazade, superyacht attribué au président russe par FBK en mars 2022.

Gleb Karakoulov est le plus haut membre des services de sécurité russes à avoir fait défection. La grande majorité de ses collègues soutiennent la guerre. Pour eux, Poutine c’est «le chef», et ils «l’idolâtrent de toutes les manières possibles», explique-t-il, ajoutant qu’ils «sont à 100 % derrière lui». Depuis sa fuite, l’ancien capitaine n’a pas été inquiété. Les logements de ses proches, restés en Russie, ont été perquisitionnés en novembre. «Ils ne me cherchent pas encore avec du Novitchok», plaisante-t-il, en faisant référence au poison russe utilisé à plusieurs reprises contre des détracteurs du Kremlin.