Au téléphone, Costica Tanase avait dit de bifurquer «à gauche sur le chemin noir, après le chemin blanc». L’instruction pour se rendre à son village de Plauru, dernière miette de Roumanie avant l’Ukraine, n’avait pas semblé si compliquée à suivre. C’était sans compter la nuit totale, tout juste éclairée par une lune épaisse comme une rognure d’ongle et les phares de la voiture ; et une réception téléphonique capricieuse, basculant sans cesse sur le réseau ukrainien. Pour parvenir jusqu’à cette île toute plate, comptant une poignée de hameaux bordés par les méandres du Danube et un canal creusé à l’époque communiste, il avait d’abord fallu se rendre à Tulcea, une ville portuaire sur le delta ; payer un type à la mine patibulaire pour embarquer sur un bac de fortune, tracté par un petit bateau hors d’âge mais assez vaillant pour faire traverser le fleuve à une dizaine de voitures, et même à un poids lourd.
De l’autre côté, il avait fallu emprunter une pénible route de poussière blanche et passer un contrôle au poste-frontière en préfabriqué. Un policier poli avait rendu les passeports en lançant, l’air grave : «Espérons que la nuit soit calme.» Il avait fallu rouler au pas pour éviter bosses, trous, cailloux et chiens errants, perdre le signal téléphonique, se perdre tout court,