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Elections législatives

«Ils n’ont plus les intérêts des fermiers à cœur» : aux Pays-Bas, le parti agricole en perte de vitesse

Depuis les élections provinciales de mars, le parti BBB avait le vent en poupe. Un engouement qui se perd à l’approche du vote, le 22 novembre, qui désignera les représentants des Néerlandais au Parlement.
Caroline van der Plas et son parti agricole le BBB pourraient obtenir 9 sièges sur les 150 au Parlement lors des prochaines élections législatives du 22 novembre. (Robin Utrecht /AFP)
par Margaux Solinas, Correspondance aux Pays-Bas
publié le 19 novembre 2023 à 16h14

Richard Verhaaf freine brusquement devant la gare de Breda-Prinsenbeek, à Brabant, au sud des Pays-Bas. Son tracteur bleu toussote puis s’arrête. Le fermier de 55 ans se pavane fièrement au volant de son engin dans sa province. Il y a quelques mois, il bloquait des ponts lors de manifestations contre des politiques agricoles du gouvernement. Vêtu d’un pull noir marqué du logo «Force de défense des agriculteurs» – une association militante – l’éleveur porcin aime à rappeler qu’il est «très investi en politique», comme de nombreux fermiers d’ailleurs. Ce qui expliquerait le succès et la victoire de Caroline van der Plas et de son parti, le BoerBurgerBeweging (BBB), aux élections provinciales le 15 mars et qui lui a accordé 16 sièges sur 75 au Sénat. Et pourrait bien lui offrir 9 sièges sur les 150 au Parlement lors des prochaines élections législatives le 22 novembre, selon les sondages. Des résultats concluants, car de nombreux partis composent le Parlement néerlandais, et une coalition composée d’une majorité absolue est nécessaire pour la formation d’un gouvernement.

Mercredi, les Néerlandais sont donc appelés aux urnes pour désigner leurs représentants au Parlement, moins de deux ans après les dernières législatives (mars 2021), qui se déroulent normalement tous les quatre ans. Mais le 10 juillet, le Premier ministre Mark Rutte annonce son retrait définitif de la vie politique, après une série de scandales et treize ans en poste. Cette démission intempestive ouvre «une période d’incertitude et clôture une ère politique, analyse le politologue de l’université d’Amsterdam, David Bos, et pourrait expliquer l’engouement pour les partis populistes comme le BBB.» Face à ses cochons Tamworth à poils longs, Richard Verhaaf confirme : «Le gouvernement actuel n’apporte pas de soutien aux fermiers. Ils nous ont abandonnés. Nous voulons des politiciens plus proches du peuple.»

Une crise agricole depuis 2019

Quelques mètres après la gare de Breda-Prinsenbeek, une ferme apparaît. En plein milieu d’un champ trône une grande pancarte. Une femme en tailleur appelle à voter pour le parti «Importance des Pays-Bas» (BLVN). Le fermier la désigne d’un geste nonchalant : «C’est le parti pour lequel je compte voter le 22 novembre, eux défendent les intérêts agricoles.» Un sourire malicieux illumine son visage. «Avant, j’avais une pancarte du BBB, mais mes vaches n’arrêtaient pas de piétiner Caroline.» Il y a quelques jours, Richard a retourné sa veste et résilié son adhésion au BBB car «ils n’ont plus les intérêts des fermiers à cœur». Caroline van der Plas a perdu une partie de ses électeurs à cause d’une crise agricole qui agite le pays depuis 2019. Les Pays-Bas émettraient une trop grande quantité de composés azotés liés à la production agricole, polluant les sols et l’eau. «Et elle n’a pas élevé la voix lors d’une proposition qui visait à réduire la pollution à l’azote au Sénat fin septembre, c’est inadmissible. Les gens ne savent pas de quoi ils parlent, nous ne polluons pas trop, s’irrite l’éleveur. Le BLVN nous promet un avenir sans réduire nos émissions.»

Pourtant, il y a encore six mois, le BBB semblait avoir conquis les Néerlandais. «Caroline van der Plas se voyait déjà Première ministre», raconte Menno Hurenkamp, un politologue de l’université d’Utrecht. Hank Vermeer, secrétaire officiel du BBB, expliquait à Libération, quelques jours après la chute du gouvernement, qu’une «majorité relative» était «possible». Ces jours-ci, les candidats du BBB arpentent le pays, débordés, de ferme en ferme mais aussi de ville en ville, durant une campagne éclair, comme elles le sont toujours aux Pays-Bas, pour convaincre de voter pour «des gens comme eux». «C’est la force du BBB : d’avoir su persuader le Néerlandais moyen et pas juste les fermiers», explique Menno Hurenkamp. Environ 2 % de la population active travaille dans le secteur agricole.

Pays trop conservateur

Mais le BBB pâtit aussi et surtout de l’irruption dans le paysage politique du parti du Nouveau Contrat social de l’ancien élu chrétien démocrate Pieter Omtzigt. La nouvelle formation pourrait obtenir 26 sièges, à peine quelques semaines après sa création, et ferait perdre au BBB trois sièges, selon Ipsos. Du reste, le pays demeure trop conservateur pour offrir une majorité relative à un parti agricole, malgré les récents chamboulements. Mais Richard ne désespère pas. Si le BLVN ne fait pas un bon score, il n’exclut pas de se présenter en politique «après le cap des 59 ans». Qui sait, aux prochaines législatives, ce sera peut-être lui la tête d’affiche.