L’extrémité du tuyau ressemble à un requin pétrifié, la gueule ouverte. On dirait que le squale de béton et d’acier avale la poussière des sédiments, prise dans le faisceau blanc de la lampe qui équipe le véhicule sous-marin téléopéré (ROV), à plus de 70 mètres de profondeur. «Voilà le pipeline», avait soupiré de soulagement quelques minutes plus tôt Trond Larsen, l’opérateur du drone sous-marin, en l’apercevant sur l’écran de sa tablette. Dans les eaux de la Baltique, la visibilité est très limitée : «On peut passer à un mètre d’un objet sans le voir», expliquera plus tard un bon connaisseur de la zone.
Le drone sous-marin est téléguidé par les mains expertes du spécialiste norvégien depuis le pont du Seatwin, un bateau battant pavillon suédois qui a jeté l’ancre à une vingtaine de kilomètres au sud-est de l’île danoise de Bornholm. L’embarcation tangue désormais juste au-dessus d’un tuyau du gazoduc Nord Stream 2. Ou ce qu’il en reste : c’est là qu’à 2 h 03 du matin, le 26 septembre 2022, le réseau reliant les champs gaziers russes à l’Allemagne s’est rompu. Suivi, plusieurs heures plus tard, par d’autres fuites, décelées cette fois au nord-est de Bornholm, et rapidement qualifiées par les autorités des pays de la région d’«explosions», causées par des «sabotages». En tout, quatre fuites ont été décelées sur le réseau de gazoducs, dans les zones économiques maritimes de la Suède et du Danemark.
Si la vidéo ci-dessus ne s’affiche pas,