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Immigration

Impuissant face à l’extrême droite, Olaf Scholz prend Schengen en otage

Alors que l’AfD pourrait remporter un nouveau triomphe électoral le 22 septembre dans le Brandebourg, l’Allemagne réinstaure des contrôles à toutes ses frontières pour tenter de «réduire l’immigration illégale».
Le chancellier allemand Olaf Scholz, au Bundestag, le 10 septembre. (Annegret Hilse/Reuters)
par Christophe Bourdoiseau, correspondant à Berlin
publié le 10 septembre 2024 à 20h12

C’est donc ça le «tournant de la politique migratoire» de Scholz ? Rétablir les contrôles aux frontières de ses neuf voisins pour rendre l’Allemagne «moins attractive comme pays d’accueil» ? «Le gouvernement est en train de tromper son monde en suggérant que le problème de l’immigration se réglera aux frontières intérieures», prévient Gerald Knaus, le politologue autrichien qui avait posé les bases de l’accord migratoire négocié entre l’UE et la Turquie en 2016 pour réduire l’immigration illégale. «Les Allemands espèrent déclencher ainsi une réaction en chaîne des autres pays. L’effet domino pourrait plonger l’Europe de Schengen [zone sans frontière] dans sa plus grave crise depuis sa création en 1985», avertit-il.

Le rétablissement des contrôles tout autour de l’Allemagne (3 900 kilomètres), même aux pays où les migrants ne passent pas, annoncé lundi 9 septembre à Berlin, représente un aveu d’échec du chancelier face à la montée en puissance de l’extrême droite, qui fait de la politique migratoire son principal cheval de bataille. Malgré un durcissement de sa politique de l’asile au cours des dix derniers mois et alors que l’économie allemande patine, Olaf Scholz ne parvient pas à convaincre les électeurs de se détourner de l’extrême droite. L’AfD (Alternative für Deutschland) est en passe de bouter son parti (SPD) du land du Brandebourg aux élections du 22 septembre, en remportant une deuxième région après la Thuringe le 1er septembre (près de 33 %).

En 2024, le nombre de demandeurs d’asile a continué à stagner à un haut niveau (175 000 à la fin août). Par ailleurs, la promesse de Scholz de «procéder à des expulsions massives», lancée en octobre 2023, n’a pas été tenue et a plongé les électeurs dans le doute sur l’intégration des nouveaux venus. Enfin, l’attentat au couteau à Solingen commis le 23 août dernier par un réfugié syrien de 26 ans (trois morts, huit blessés) qui devait être expulsé vers la Bulgarie, a conforté le narratif de l’AfD sur une insécurité liée aux migrants. Fin août, l’expulsion de 28 délinquants afghans, une première depuis le retour au pouvoir des talibans, a été une opération surmédiatisée pour tenter de convaincre l’opinion que le gouvernement agit. «Depuis, le débat est monopolisé par les détracteurs du système. L’Allemagne se transforme en grand théâtre politique», déplore Gerald Knaus.

Scholz prend cette fois l’Europe de Schengen en otage pour des raisons de politique intérieure à un an des élections générales. La police fédérale, déjà à l’œuvre aux frontières suisses, tchèques et polonaises, juge pourtant ces mesures déjà inefficaces. Avec seulement 1 000 créations de postes supplémentaires inscrits au budget de 2025, elle ne parviendra pas à surveiller efficacement 3 900 kilomètres de frontières. «Les résultats sont déjà très faibles au regard des effectifs déployés», a déclaré Andreas Rosskopf, responsable syndical de la police fédérale. Les contrôles mobiles qui existent déjà exigent plus de travail et profitent aux passeurs. «Ils connaissent les passages et envoient des éclaireurs. Les policiers manquent à d’autres endroits comme les stades de football et augmentent le sentiment général d’insécurité», dit-il.

«fin des frontières ouvertes»

Pour rassurer la population chauffée dans un contexte électoral très tendu, le gouvernement s’est senti obligé de prendre une série de mesures sécuritaires qui seront votées ce jeudi 12 septembre à l’assemblée fédérale (Bundestag). Elles prévoient une baisse des aides pour les demandeurs d’asile, un durcissement des sanctions contre les réfugiés délinquants et une interdiction des armes blanches dans les lieux publics.

Avec le rétablissement des contrôles, le chancelier risque aussi une nouvelle crise gouvernementale avec ses alliés écologistes qui refusent une telle mesure. «Ce serait la fin des frontières ouvertes en Europe», s’est inquiétée Katharina Dröge, la chef du groupe parlementaire des Verts. Enfin, l’opposition conservatrice, qui défend toujours officiellement le «cordon sanitaire», se met à marcher ostensiblement et sans scrupule sur les plates-bandes de l’extrême droite. «Nous devons passer sous la barre des 100 000 demandeurs d’asile par an», a décrété Markus Söder, le chef des conservateurs bavarois, et sérieux prétendant à la chancellerie. Sans oublier de préciser : «On ne sent plus en sécurité dans de nombreuses villes allemandes.»

L’Allemagne n’est plus celle de 2015 et du «Wir schaffen das !» de Merkel (On va y arriver !) au moment d’accueillir près d’un million de réfugiés fuyant la guerre en Syrie. Le virage sécuritaire du gouvernement Scholz va changer le visage d’une Allemagne accueillante envers les réfugiés. Pourtant, au début de l’année, la société civile allemande s’était fortement mobilisée contre la montée de l’extrême droite. Plus de trois millions d’Allemands étaient descendus dans les rues pour défendre une société de la diversité où un quart de la population est issu de l’immigration. Cela paraît déjà très loin.