Le soldat de bronze a les sourcils froncés et le poing serré. Son regard est planté dans le sol, pensif. Que fait-il là, dans ce cimetière militaire coincé entre une voie rapide et un magasin de bricolage, lui qui a longtemps trôné dans le centre de Tallinn ? La lourde statue aux épaules carrées, élevée en l’honneur des soldats soviétiques de la Seconde Guerre mondiale, fait office depuis son érection de baromètre des relations russo-estoniennes.
En 1946, l’URSS avait construit à la hâte un premier monument pour célébrer sa victoire et l’intégration de force de l’Estonie à son territoire. Une simple étoile dressée sur un socle en bois, pour marquer symboliquement le pouvoir de l’occupant. Deux adolescentes l’ont fait sauter à la veille du 9 mai, jour anniversaire de la fin de la guerre. «Combien de temps étions-nous censées observer cette étoile rouge, ce mémorial dressé pour les pillards russes ?» demande effrontément Aili Jürgenson, 14 ans, pendant son interrogatoire. Elle passera huit ans au goulag. A la place de l’étoile dynamitée, Moscou installe dès l’année suivante ce soldat de bronze, décorations gravées sur la poitrine. L’occupation s’installe dans la durée et la brutalité.
En 2007, seize ans après l’écroulement de l’URSS et la reconquête de l’indépendance, le gouvernement estonien décide de déplacer la statue en périphérie du centre de Tallinn. Là aussi, le symbole est fort. L’Etat, résolument tourné vers l’Ouest, s’affranchit de son ancien colonisateur et de