Pour ce qui est de diviser la société et l’échiquier politique, le conflit israélo-palestinien a pris le pas sur la question catalane – et la possible amnistie des leaders séparatistes en cas d’investiture du socialiste Pedro Sánchez. Toutes les formations ont choisi leur camp et s’accusent mutuellement d’appuyer l’Etat d’Israël ou la milice du Hamas. La déflagration politique a commencé par les propos de Ione Belarra, ministre des Droits sociaux du gouvernement de gauche et chef de file de Podemos, une formation en recul mais qui continue de peser au sein de l’exécutif dirigé par Pedro Sánchez. Elle a demandé à ses partenaires socialistes de rompre les relations diplomatiques avec Tel-Aviv et geler les exportations d’armes à destination de l’Etat hébreu.
Elle a attribué à Israël la responsabilité du bombardement sur l’hôpital Al-Ahli Arabi à Gaza, que les analystes et spécialistes dans la géolocalisation des images attribuent plutôt à un tir de roquette raté en provenance de l’enclave palestinienne. Et sur la chaîne privée Telecinco, elle a répondu par un rire lorsqu’on lui a demandé des preuves. Auparavant, Ione Belarra avait qualifié de «crimes de guerre» les représailles israéliennes après les attentats du Hamas du 7 octobre – tout en se refusant à condamner sans ambiguïtés ces dernières. Elle a ensuite exigé que Benyamin Nétanyahou soit traduit devant la Cour pénale pour «génocide programmé» contre le peuple palestinien.
La droite s’engouffre dans les divisions
Ces sorties ont provoqué en début de semaine un véhément communiqué de l’ambassade d’Israël en Espagne, accusant «certains éléments du gouvernement espagnol [de] s’aligner avec le terrorisme de type Etat islamique» du Hamas. «En plus d’être absolument immorales, ces déclarations mettent en danger la sécurité des communautés juives en Espagne», a tonné l’ambassade, exhortant Pedro Sánchez à «dénoncer et condamner sans équivoque ces déclarations honteuses». Le chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares, a eu toutes les peines du monde à rétablir l’accalmie entre les deux pays. «Dans tout gouvernement, il y a des sensibilités différentes» mais «pour la politique étrangère, il n’y a que deux voix : celle du Premier ministre et celle du ministre des Affaires étrangères», s’est-il efforcé de rappeler mardi.
A un moment où l’Espagne – où les législatives de fin juillet n’ont toujours pas donné lieu à un nouvel exécutif – est entrée de plain-pied dans une polarisation politique de plus en plus manifeste, le conflit provoque une virulente guerre dialectique. Pedro Sánchez n’a jamais caché son penchant pour «la cause du peuple palestinien» et multiplie ces jours-ci les appels à un «corridor humanitaire» pour la population de Gaza. En face, la droite s’est engouffrée avec force dans la défense de la cause israélienne. Au Parlement régional de Madrid, dirigé par les conservateurs du Parti populaire et les extrémistes de Vox, il n’a pas été autorisé d’observer une minute de silence en faveur des victimes civiles palestiniennes de ces derniers jours.
De l’huile sur le feu
La présidente régionale Isabel Díaz Ayuso, qui ne cache pas son admiration pour Trump et son soutien sans failles pour l’exécutif de Benyamin Nétanyahou, a accusé la gauche d’être «profondément antisémite». Quant au chef de l’opposition, le conservateur modéré Alberto Nuñez Feijoó, il met aussi de l’huile sur le feu : à ses yeux, Pedro Sánchez aurait dû se rendre immédiatement en Israël pour soutenir «un allié occidental de l’Espagne» et expulser sine die Ione Belarra, «parangon de la lâcheté vis-à-vis du jihadisme islamique».
Si les désaccords en matière de politique étrangère ne sont pas nouveaux entre le Parti socialiste et son allié de Podemos, notamment sur le soutien militaire à l’Ukraine ou le dossier du Sahara occidental, le contexte politique est aujourd’hui très différent, en pleine quête d’une nouvelle majorité de gouvernement qui ne pourra passer que par l’unité totale de la gauche. Les tensions nouvelles liées à la crise au Proche-Orient viennent compliquer encore davantage la tâche de Pedro Sánchez, qui a déjà fort à faire pour convaincre l’opinion que l’amnistie des responsables séparatistes catalans liés au référendum illégal d’octobre 2017 est nécessaire à son intronisation.