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Italie : pour Giorgia Meloni, des débuts laborieux et des partenaires sur les nerfs

La future présidente du Conseil a assisté à la première séance du Parlement italien depuis sa victoire le 26 septembre dernier. En retrait depuis trois semaines, critiquée par Silvio Berlusconi, elle est aussi confrontée aux tensions entre ses alliés, qui visent des postes clés dans son gouvernement.
La future cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, à la Chambre des députés à Rome, le 13 octobre. (Guglielmo Mangiapane/Reuters)
par Eric Jozsef, correspondant à Rome
publié le 13 octobre 2022 à 18h25

«Nous ne sommes pas des monstres». C’est pratiquement le seul message public que Giorgia Meloni a délivré depuis sa victoire aux législatives du 25 septembre. Dans une vidéo adressée dimanche dernier aux militants de Vox, à l’occasion de la kermesse du parti d’extrême droite espagnol, qui a aussi reçu des messages de Donald Trump et de Viktor Orban, la future présidente du Conseil a lancé : «En Italie, ils utilisent notre alliance avec Vox pour nous définir comme des imprésentables […] mais des mouvements politiques soutenus par des millions de citoyens peuvent-ils être vraiment imprésentables ?» Pour le reste, Giorgia Meloni a quasiment disparu de la scène médiatique ces vingt derniers jours, occupée en coulisses à tenter de former son gouvernement. Et elle n’a même pas daigné prendre la parole lors de la première séance du nouveau Parlement, ce jeudi.

«Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps, la situation de l’Italie n’est pas facile», a-t-elle simplement glissé mercredi devant les journalistes alors que les négociations sont très tendues avec ses partenaires de la Ligue et de Forza Italia. Silvio Berlusconi et Matteo Salvini, qui ont longtemps joué les premiers rôles, ont dû mal à accepter que désormais Giorgia Meloni, dont la formation a obtenu 26 % des suffrages aux législatives, soit la patronne de la coalition. Par ailleurs, celle-ci voudrait bien embarquer des techniciens dans son nouveau gouvernement pour rassurer ses partenaires européens et affronter les énormes défis qui s’annoncent, notamment sur les plans énergétique, économique et social.


«Elle est ingrate et arrogante»

Alors que Fratelli d’Italia, qui ne pesait encore que 4 % en 2018, ne dispose pas de dirigeants de haut niveau, Giorgia Meloni aurait cherché à débaucher Fabio Panetta, représentant italien à la Banque centrale européenne, ou encore Daniel Franco, actuel ministre de l’Economie et des Finances du gouvernement Draghi. Les intéressés auraient gentiment décliné l’offre. Quoi qu’il en soit, Forza Italia et la Ligue insistent pour réclamer un gouvernement politique sur le thème «à quoi sert-il d’avoir fait tomber Draghi, si c’est pour se retrouver avec des technocrates au pouvoir ?» Surtout, les alliés revendiquent des gros portefeuilles. Matteo Salvini lorgne en particulier le ministère de l’Intérieur pour se relancer à travers une politique de fermeté contre les migrants. Mais pour un fauteuil aussi délicat, Giorgia Meloni s’orienterait plutôt vers la nomination d’un préfet. Prenant apparemment acte du veto de la leader postfasciste, Matteo Salvini a fait savoir néanmoins qu’il s’attendait à se voir offrir «un ministère de poids». Quant à Silvio Berlusconi, il voudrait en particulier placer des fidèles à la Justice et à la Communication, alors qu’il a encore des procès en cours et qu’il détient toujours un empire télévisé.

Pour l’instant, Giorgia Meloni résiste. «Elle est ingrate et arrogante. J’ai été quatre fois président du Conseil, je n’ai pas de leçons à recevoir d’elle», a fait savoir le Cavaliere à la presse italienne, avant de lancer un avertissement à la future cheffe du gouvernement. Jeudi, à l’occasion de la première réunion des chambres du Parlement, les sénateurs de Forza Italia n’ont pas pris part au vote pour l’élection du président de la Chambre haute. Ancien ministre et dirigeant de Fratelli d’Italia, Ignazio La Russa a tout de même été élu, mais uniquement avec les voix de francs-tireurs de l’opposition.

Un nostalgique de Mussolini à la tête du Sénat

Les tensions au sein de la coalition majoritaire occupent désormais les débats et ont fait passer au second plan la biographie du nouveau président du Sénat. Agé de 75 ans, fils d’un ancien secrétaire du parti national fasciste en Sicile, Ignazio Benito La Russa a toujours milité à l’extrême droite, devenant dès 1971 le responsable des jeunes du Mouvement social italien. Dans les années 90, il accompagne le recentrage du parti engagé par Gianfranco Fini qui crée Alliance Nationale, devient ensuite ministre de la Défense du gouvernement Berlusconi, puis fonde en 2012 Fratelli d’Italia avec Giorgia Meloni. Avec son bouc et sa voix rauque, le nouveau président du Sénat est un habitué des plateaux de télé, d’information autant que de divertissement. La Repubblica le présente comme «Ignazio l’histrion, roi des excès». Fidèle à l’histoire fasciste, il conserve précieusement chez lui des photos des chemises noires et un buste de Mussolini.

«Je chercherai de toutes mes forces à être le président de tous», a-t-il indiqué après son élection. Il a également offert des fleurs à la sénatrice à vie Liliana Segre, 92 ans et survivante d’Auschwitz, qui avait ouvert la séance en tant que doyenne de l’assemblée. Au cours de son discours, celle-ci a rappelé les principes démocratiques de la République italienne et ses fondements antifascistes. Liliana Segre a évoqué la Marche sur Rome, l’assassinat de Giacomo Matteotti, mais aussi les lois raciales qui, en 1938, l’avaient obligée à quitter l’école. Elle a souligné que la Constitution républicaine n’est pas un «morceau de papier», mais le testament de 100 000 morts tombés dans la longue lutte pour la liberté.