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«Je ne sais pas ce qu’on va faire, aider les équipes médicales, peut-être m’engager avec l’armée» : des Ukrainiens de France partent défendre leur pays

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Si le phénomène est impossible à quantifier, les départs d’Ukrainiens depuis la France se multiplient. «Libération» a pu s’entretenir avec certains de ces volontaires, prêts à se battre face à la Russie.
Si le phénomène est impossible à quantifier, les départs d’Ukrainiens depuis la France se multiplient. «Libération» a pu s’entretenir avec certains de ces volontaires, prêts à se battre face à la Russie. (Cyril Zannettacci/Vu pour Libération)
publié le 27 février 2022 à 9h01

«On va protéger l’Ukraine de Poutine le terroriste !» Victor, la trentaine, est électricien en France. Mais vendredi, dès le lendemain du déclenchement de l’offensive russe sur l’Ukraine, il a pris la route, avec la ferme intention d’aller défendre son pays. On le joint au téléphone, à quelques heures de Paris. On échange en russe, la ligne est mauvaise. Derrière lui, une voix assurée confirme depuis le siège passager : ils retournent en Ukraine : «Là-bas, nous avons nos enfants, nos parents. Nous allons défendre notre pays.»

Il y a trois jours, les deux hommes ne se connaissaient pas. Ils n’ont «rien en commun», si ce n’est leur nationalité, insiste Victor. Qui raconte avoir posté un message sur son mur Facebook, invitant d’autres volontaires à se joindre à lui. «Sur la route», sans que l’on sache trop où, il doit d’ailleurs «récupérer un autre gars». On n’en saura pas plus. La communication coupe.

Aider l’armée

Combien, comme Victor, ont fait le choix de quitter la France – ou un autre pays européen – pour voler au secours de leur patrie ? Personne ne le sait, mais au sein de la communauté ukrainienne, et notamment sur les réseaux sociaux, les départs s’organisent. En termes logistiques, tout est un peu flou pour tout le monde. Mais Victor dit savoir précisément ce qu’il compte faire, une fois en Ukraine : aider l’armée qui «lui donnera ce qu’il faut» pour se battre.

Sur ce point, il n’a sans doute pas tort. A Kiev, cible prioritaire des Russes où les soldats ukrainiens résistent héroïquement depuis trois jours, des milliers d’armes ont déjà été distribuées aux volontaires ces derniers jours. Et plusieurs sources ont assuré, en amont du conflit, que si l’armée ukrainienne venait à être vaincue, les arsenaux militaires seraient ouverts à la population civile.

De leur côté, Bohdan et ses amis comptaient quitter la région parisienne en minibus lundi, mais leur chauffeur a fait machine arrière. Déterminé, le réparateur de 28 ans s’est mis en quête d’un plan B : «On va y aller, c’est sûr». Le groupe compte rallier la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, à environ 1 800 kilomètres de Paris. Puis essayer de rejoindre, 1 500 kilomètres plus à l’Est, sa terre d’origine du Donbass, où la guerre entre Ukrainiens et séparatistes prorusses a éclaté au printemps 2014 : «C’est là-bas ma vie, ma maison». Pour l’heure, les plans semblent imprécis. «Je ne sais pas ce qu’on va faire une fois en Ukraine, dit-il. Aider les équipes médicales, peut-être m’engager avec l’armée. On trouvera.»

«Personne n’est en sécurité»

Irina, elle, est doctorante à Paris. Elle aussi a décidé de partir. Vendredi soir encore, elle ignorait comment. «Peut-être que l’on prendra nos voitures, on verra, on doit s’organiser.» Elle n’a pas prévu de prendre les armes, mais d’aider, tout simplement, où cela semblera nécessaire : «Donner mon sang par exemple. Les gens font des rondes, s’accueillent».

La jeune femme est sûre que sa famille ne quittera pas l’Ukraine. Son père travaille dans une école, «il ne laissera pas les enfants comme ça». Elle a décidé de partir quand son frère l’a appelée depuis l’ouest de l’Ukraine, lui expliquant que la guerre était «à côté». Eux qui croyaient que «même s’il se passait quelque chose, ils étaient en lieu sûr». Convaincus de ne pas être en première ligne. Mais la Russie a attaqué de partout. Le constat est amer : «Personne n’est en sécurité dans le pays».

«Terroriste», «psychopathe», les noms donnés à Poutine illustrent l’ampleur de la colère. Victor, Bohdan, Irina, tous s’indignent de la tournure des évènements. «Pourquoi les laisser faire ça ? On n’a rien fait à la Russie. Un si gros pays qui nous attaque ! grince Bohdan. Il a une armée d’enfants derrière lui, mais il veut le monde entier. C’est un psychopathe.»

Dans leurs témoignages, en toile de fond, figure aussi l’apparente impuissante de l’Occident à aider leur pays, autrement que par des sanctions ou de modestes et tardives livraisons d’armes. Un échec qui les déçoit, les révolte aussi. «Personne ne nous aide, s’énerve Victor. Ils tuent nos enfants, bombardent nos maisons !» Alors ils prennent les choses en main. Que pourraient-ils faire depuis la France, de toute façon ? «On peut envoyer de l’argent, aller manifester place de la République. Mais ce ne sont que des mots, conclut Irina. Et là-bas, il manque des bras.»