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Libération
Guerre en Ukraine

Kyiv porte le fer devant la Cour internationale de justice

Le tribunal a pour la première fois déclaré la Russie coupable de violation de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, mais les juges de La Haye continuent de rejeter la plupart des accusations ukrainiennes.
Anton Korynevych, le juriste qui représente Kyiv à la Cour internationale de justice de La Haye, le 2 février. (Peter Dejong/AP)
par Stéphane Siohan, correspondant à Kyiv et Kristina Berdynskykh
publié le 9 février 2024 à 17h01

Loin du front use poursuit une autre bataille, non moins brûlante, celle de la définition du bon droit entre les pays. La transformation, par la Russie en février 2022, en invasion à grande échelle de ce qui était jusque-là une agression territoriale commencée en 2014, a été émaillée de nombreuses atteintes graves au droit international. Le 31 janvier, la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction des Nations unies, a pour la première fois ouvert une brèche, en estimant que la Fédération de Russie a violé des articles de deux traités liés à la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme.

«La Russie n’a pas respecté son obligation de mener des enquêtes à l’encontre d’individus susceptibles de financer le terrorisme en Ukraine», a déclaré Joan Donoghue, la présidente de la CIJ. La juridiction, extrêmement prudente, a par ailleurs rejeté la quasi-totalité des autres demandes de l’Ukraine autour des actes commis par la Russie en Crimée et dans le Donbass depuis 2014. Du «terrorisme international» pour Kyiv qui évoque des accusations de «discrimination raciale» relevées dans le cas du traitement de la minorité tatare de Crimée par la puissance russe occupante.

Anton Korynevych, le juriste représentant Kyiv à la CIJ, a estimé qu’il s’agissait là d’un «jour important» car la Cour a statué que «la Russie [avait] violé le droit international». Cependant, d’autres responsables à Kyiv fulminent, car la Cour a refusé de rendre une décision spécifique sur la responsabilité de la Russie dans l’abattement du Boeing MH17 de la Malaysian Airlines le 17 juillet 2014. Selon la décision de la Cour, le financement du terrorisme au sens de la Convention se réfère uniquement au transfert de fonds et ne s’étend pas à la fourniture d’équipements militaires et d’armes aux séparatistes.

Fourniture d’armes

Selon cette lecture, la fourniture par Moscou d’un missile antiaérien de type Bouk M-1, comme en a jugé la justice néerlandaise, ne tombe pas sous le coup de cette interdiction. «C’est une honte pour le système judiciaire international, cette décision de justice est une erreur et un désastre, la non-reconnaissance de faits évidents aura des conséquences très importantes, d’abord pour de nombreux pays civilisés, a estimé Kyrylo Boudanov, chef du Renseignement militaire ukrainien (GUR). Selon la logique de la CIJ, la Russie n’est pas un sponsor du terrorisme car il n’y a pas eu de transfert sur des comptes pour acheter des armes, mais il y a eu l’utilisation d’armes, un système de défense antiaérienne russe, qui a fait des victimes.»

D’après l’espion militaire principal de Kyiv, le risque court que si un pays agresseur «donne des systèmes de défense aérienne portatifs, mais non de l’argent, et qu’ils abattent un Boeing civil, alors en principe il ne s’agira pas de terrorisme». La plainte de l’Ukraine déposée en 2015 auprès de la CIJ concernait également tous types de fournitures d’armes par la Russie aux entités séparatistes de Donetsk et de Louhansk, l’attaque d’un bus (12 civils tués) à Volnovakha le 9 janvier 2015, comme preuve du «soutien de la Russie à des groupes armés illégaux engagés dans des activités terroristes».

En ce qui concerne la Crimée, l’objectif était de prouver la persécution systématique des personnes qui ne s’identifient pas aux Russes, principalement les Tatars de Crimée. Les juges ont majoritairement rejeté les accusations concernant la persécution des Tatars de Crimée, reconnaissant seulement la Russie comme coupable d’avoir «fermé des écoles de langue ukrainienne».