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Reportage

La colère des agriculteurs polonais : «On ne peut pas concurrencer les céréales ukrainiennes»

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L’afflux de céréales provenant du pays en guerre déstabilise les marchés locaux. Une fronde qui met dans l’embarras Varsovie, à quelques mois d’élections cruciales.

En Pologne, les céréaliers comme l'agriculteur de Łykoszyn Piotr Winiarski doivent faire face à la «concurrence déloyale» de leurs confrères ukrainiens. (Simona Supino/Libération)
ParPatrice Senécal
envoyé spécial à Hrubieszów (Pologne)
Publié le 03/05/2023 à 12h57

L’agriculteur en salopette bleue, bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, balaie d’un regard dépité les pousses de maïs desséchées alentour. Il en détache deux épis, un dans chaque main noircie, et les agite dans le vide, comme pour mieux manifester son indignation. Piotr Pokrywka, 48 ans, a vu la géopolitique s’immiscer sur ses 15 hectares de parcelle du village polonais de Modryniec, à cinq kilomètres à vol d’oiseau de l’Ukraine. «C’est du bon maïs de la moisson précédente, personne n’a voulu me l’acheter ! Jamais il ne m’en était resté sur les bras», regrette ce fils de fermiers, qui devra stocker la récolte à ses frais, «en attendant qu’un client se manifeste», à l’instar de son blé lui aussi invendu.

La faute, selon lui, à l’afflux de céréales ukrainiennes sur le territoire polonais. Alors que le prix des engrais a considérablement augmenté et que celui de la tonne de blé a chuté d’au moins un tiers depuis cet automne, la débâcle financière guette Piotr Pokrywka, à l’aube d’une nouvelle saison agricole incertaine. «Si j’étais plus faible sur le plan psychique, je serais probablement déjà pendu», lâche-t-il en plaisantant à moitié, en pointant un arbre en fleurs. «J’ai fait le plein de carburant et d’engrais, or je ne peux plus investir.»

Neuf millions de tonnes de surplus

La crise, intrinsèquement liée à l’agression russe contre Kyiv, tire son origine de la décision de l’Union européenne (UE) d’exempter de droits de douane les importations agricoles ukrainiennes. Dans la foulée de l’