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Libération
TRIBUNE

La France et le Royaume-Uni : deux pays rivaux, deux élections, et une tendance qui s’inverse

Élections au Royaume-Unidossier
Pour John Kampfner, journaliste et écrivain qui vit entre Londres et Berlin, le renversement de tendance entre un Royaume-Uni diminué sur le point d’élire un Premier ministre de centre-gauche et une France qui bascule à l’extrême droite est le signe qu’aucun pays n’est à l’abri d’actes terribles «d’automutilation».
Le leader travailliste Keir Starmer, en visite de campagne à Hitchin, ce lundi 1er juillet. (Stefan Rousseau / AP et Julien de Rosa / AFP)
par John Kampfner
publié le 1er juillet 2024 à 14h24

A quelques jours près, deux élections chez deux voisins et rivaux sont sur le point de faire basculer l’Europe. Que, le 7 juillet, le Rassemblement national remporte une majorité absolue ou pas ; que le président Macron soit forcé d’installer Jordan Bardella à Matignon ou pas, l’extrême droite en France a gagné. Elle va dominer le discours politique au cours des prochaines années, qui risquent de se révéler douloureuses et potentiellement chaotiques, et ce, peut-être pour bien plus longtemps. L’extrême droite va désormais lourdement peser sur les politiques en France et à travers l’Union européenne.

Pour le regard extérieur, et notamment celui d’un Britannique assiégé, la vision d’un pays qui semblait de plus en plus moderne et attractif pour le monde extérieur en train de se retourner contre lui-même est proprement stupéfiante. La décision de David Cameron de convoquer un référendum en 2016, qui a entraîné le Brexit, a constitué, sans conteste, le plus important revers pour le Royaume-Uni depuis la Seconde Guerre mondiale. Et cette décision ressemble fort à l’impétuosité de Macron qui l’a mené à convoquer en un temps record des élections législatives anticipées.

Accès de folie

Aujourd’hui, les rôles sont inversés. Le Royaume-Uni est sur le point d’émerger de huit années de cirque, en élisant le 4 juillet prochain Keir Starmer, dirigeant du Labour, comme Premier ministre issu d’un centre politique que la France semble être sur le point d’abandonner. Qui aurait pensé que «l’île des fiestas», comme nous avaient surnommés les Allemands à cause des fêtes organisées durant le confinement à Downing Street sous Boris Johnson, pourrait devenir un havre pour une politique mesurée ? Alors que deux des plus importants piliers de l’Europe, la France et l’Allemagne, semblent l’une et l’autre proches du chaos, le Royaume-Uni pourrait-il être en mesure d’assurer un certain leadership dans le monde ? Oh, l’ironie de toutes les ironies !

Sauf que, bien entendu, ce n’est pas si simple. Ce n’est pas seulement que le Royaume-Uni est désormais ancré à l’extérieur de l’Union européenne, c’est aussi qu’il est bien trop tôt pour dire que le pays sera en mesure de résister à un autre accès de folie. Même si les sondages prédisent tous à Keir Starmer une très large majorité, la victoire de ce technocrate prudent ne jettera pas des foules en liesse dans les rues, comme l’avait fait la première élection de Tony Blair en 1997. Et si Keir Starmer et le Labour ne remplissent pas leurs promesses, ou au moins une partie d’entre elles, et alors que les électeurs sont bien plus inconsistants que dans le passé, rien ne dit qu’un parti conservateur trumpiste, mené par Nigel Farage ou un de ses pairs, ne pourrait pas revenir au pouvoir lors de la prochaine législature, d’ici quatre ou cinq ans.

Climat ouvert à l’innovation et à l’investissement

En dépit de la perte d’influence de leur nation au cours des dernières années, les Britanniques se sont un peu consolés récemment en regardant par-dessus la Manche les problèmes auxquels sont confrontés l’Allemagne et la France. Les chemins de fer allemands sont aussi peu fiables que les nôtres ! Ah ! les Allemands ont du mal à gérer l’invasion de l’Ukraine par Poutine (on avait pourtant prévenu qu’ils étaient faibles par rapport au Kremlin). Quant aux Français, il suffit de mentionner le nombre de journées de travail perdues pendant des grèves (en réalité et dans les faits, pas vraiment plus qu’au Royaume-Uni, mais ce détail, il ne faut pas le mentionner) ou les gilets jaunes (vraiment les Français n’ont jamais abandonné leurs habitudes révolutionnaires) pour redonner le sourire aux Britanniques.

Sauf que ces observations ne disent pas la véritable histoire de la France des dernières années. Celle d’entreprises de la tech ou de la finance heureuses de venir s’y installer, d’un climat global ouvert à l’innovation et à l’investissement, de secteurs culturels et scientifiques dépassant ceux des autres pays. Ou d’une capitale, Paris, qui n’a jamais semblé plus moderne, plus cool, plus attirante.

Et maintenant quoi ? Il semble bien que n’importe quel pays est décidément capable des pires actes d’automutilation.