Personne n’imaginait que le débat d’investiture de Pedro Sánchez puisse ressembler à autre chose qu’à un pugilat parlementaire. Cela n’a pas failli : alors que le chef de file socialiste – et chef du gouvernement sortant – Pedro Sánchez va sans suspense être reconduit dans ses fonctions ce jeudi 16 novembre, la bronca a été maximale entre son camp et celui des forces conservatrices. Durant toute la journée, on a assisté à une partie de ping-pong véhémente entre le leader socialiste et le chef de l’opposition Alberto Núñez Feijóo. Une confrontation à la mesure de celle qui se joue dans tout le pays au sujet de la loi d’amnistie qui va bénéficier aux responsables séparatistes catalans impliqués dans le «procès». Ce processus vers l’indépendance a connu son point d’orgue avec le référendum illégal d’autodétermination d’octobre 2017, sanctionné par Madrid.
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La loi d’amnistie, au centre d’un pacte scellé entre les socialistes et les séparatistes de «Junts per Catalunya» pour permettre l’intronisation de Sánchez, est aujourd’hui le grand épouvantail national. Un objet de discorde qui fait rugir l’homme de la rue de droite – et parfois de gauche – ; écumer de rage nombre d’associations de notaires, magistrats ou inspecteurs des finances ; se mobiliser des milliers d’opposants devant les permanences socialistes, en particulier celle de la Calle Ferraz à Madrid, théâtre chaque soir d’une manifestation aux accents insurrectionnels ; dire à la présidente conservatrice de la région madrilène, Isabel Díaz Ayuso, qu’«on se dirige vers une dictature». Sans compter l’ire de l’extrême droite de Vox, dont le leader, Santiago Abascal, a exigé au Tribunal suprême, en vain, la suspension de cette séance d’investiture.
«Dépasser la fracture»
Pas étonnant donc que ce clivage majeur – pour ou contre la loi d’amnistie permettant au leader socialiste de compter sur le soutien des 7 députés décisifs de Junts – allait se reproduire sur l’estrade des Cortès. «Cette loi est parfaitement légale et en conformité avec la Constitution», a assuré sans tarder Pedro Sánchez dans une première et longue allocution. Il s’est évertué à montrer que ce pacte avec les sécessionnistes catalans ne répond pas à un trivial marchandage politique (lui permettant le soutien de 179 des 350 députés, soit suffisamment pour être investi nouveau chef du gouvernement), mais à une vision de concorde entre tous les Espagnols.
Assurant avoir agi «au nom de l’intérêt de l’Espagne» et avoir «préféré les retrouvailles à la vengeance, l’unité à la fracture», Pedro Sánchez a défendu cet accord historique (c’est la première loi d’amnistie depuis celle de 1977 qui s’était appliquée aux crimes de la dictature franquiste), à même selon lui d’«aider à dépasser la fracture qui s’est ouverte en Catalogne “le 1-O”». Le 1er octobre 2017 eut lieu à Barcelone un référendum d’autodétermination organisé au nez et à la barbe des autorités espagnoles qui ont fini par le réprimer avant de mettre la Catalogne sous tutelle et d’en poursuivre ses instigateurs. Selon la logique de Pedro Sánchez, contenter les séparatistes catalans via cette mesure de «pardon et de générosité» va les conduire sur le chemin de la réconciliation avec le reste de l’Espagne et apaiser leurs revendications jusqu’au-boutistes.
Un «geste de clémence»
Ce n’est évidemment pas la vision des choses exprimée par Alberto Núñez Feijóo, le chef de l’opposition et la principale caisse de résonance de cette Espagne pour qui la loi d’amnistie n’est autre qu’une reddition du pays face à ses «ennemis», la fin du principe d’égalité entre tous les Espagnols devant la justice, la mise à mort de l’Etat de droit qui reléguerait le pays au même rang que la Hongrie. «Monsieur Sánchez, l’histoire ne vous amnistiera pas, lui a-t-il lancé avec force. L’Espagne ne se rend pas.» L’autre grand argument du chef de file conservateur a été d’accuser son rival socialiste de «fraude électorale» puisque, a-t-il expliqué, «la scélérate loi d’amnistie» accordée aux séparatistes de Junts ne faisait pas partie de son programme électoral d’avant les législatives de fin juillet.
Reportage
La partie de ping-pong pouvait continuer allègrement, mettant en évidence un mur invisible entre deux hommes, deux camps, deux visions qui semblent irréconciliables. Cette investiture, a souligné Pedro Sánchez, sera un «mur démocratique face aux droites réactionnaires et rétrogrades», incapables d’un «geste de clémence» envers la Catalogne. Cette investiture, a rétorqué Alberto Núñez Feijóo, n’est rien d’autre qu’un «achat [pour accéder] au pouvoir». A l’extérieur de l’hémicycle, les partisans de ce dernier étaient maintenus à une distance raisonnable par un exceptionnel déploiement de 1 600 agents. Pour certains drapés dans des étendards rouge sang, ils hurlaient : «Sanchez, en prison», «C’est un coup d’Etat», ou «L’Espagne, bientôt le Venezuela». Pour ce jeudi 16 novembre, jour de l’officialisation officielle, rien ne laisse présager un apaisement des esprits.