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Analyse

Le Conseil européen, premier test géopolitique pour le Slovaque Robert Fico

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Tout juste de retour aux affaires pour un quatrième mandat, le Premier ministre slovaque a fait campagne sur un discours prorusse et s’est opposé à l’aide à l’Ukraine. Mais par le passé, Fico a toujours modéré son discours à Bruxelles.
Le nouveau Premier ministre slovaque, Robert Fico, lors de la cérémonie de prestation de serment au palais présidentiel de Bratislava, en Slovaquie, mercredi 25 octobre 2023. (Petr David Josek/AP)
publié le 26 octobre 2023 à 7h11

Robert Fico est un habitué des cérémonies d’intronisations : ce mercredi, il a été nommé pour la quatrième fois depuis 2006 Premier ministre de Slovaquie. Pourtant, jamais son arrivée au pouvoir n’avait été observée aussi près dans toute l’Europe. Les libéraux et les progressistes voient dans ses intentions nationalistes et prorusses une menace pour la cohésion européenne, tandis que la Hongrie de Viktor Orbán cherche en lui un nouvel allié.

Après sa victoire aux élections du 30 septembre, où son parti du Smer est arrivé en tête avec 23 % des voix, Fico a d’abord dû bâtir une coalition et un nouveau gouvernement. Il s’est allié avec Hlas, une formation composée d’anciens du Smer qui se présente comme sociale-démocrate, et avec le Parti national slovaque (SNS) qui s’est un temps réclamé de la période fasciste. Selon son leader, Andrej Danko, les trois partis sont liés par «une politique nationaliste chrétienne». Ensemble, ils contrôlent 79 sièges sur 150 au Parlement.

La composition du gouvernement a envoyé de premiers signaux inquiétants. Fico a choisi comme ministre de la Défense son bras droit de toujours, Robert Kalinak, poursuivi à ses côtés pour la formation d’un groupe criminel organisé. Le ministère des Affaires étrangères a été attribué à Juraj Blanar, un homme qui n’a à peu près aucune expérience de la diplomatie, mais qui s’est distingué par sa loyauté absolue à Fico et par son orientation prorusse.

Menace sur l’aide à l’Ukraine ?

Le poste de ministre de l’Environnement, d’abord promis à Rudolf Huliak, un chasseur ultranationaliste et climatosceptique, a retardé d’une semaine l’entrée en fonction de l’exécutif. La présidente libérale Zuzana Caputova a refusé d’introniser un gouvernement où il occuperait ce poste, en faisant valoir qu’un «candidat qui ne reconnaît pas le consensus scientifique sur le changement climatique ne peut pas diriger un ministère dont la tâche principale, telle qu’inscrite dans la loi, est de protéger la nature et le système climatique de la Terre». Mais elle n’a pas pu s’opposer à son remplaçant, Tomas Taraba, qui s’est jusqu’ici surtout fait remarquer pour ses saillies homophobes.

Avec ce cabinet, Fico poursuit sur la lignée de sa campagne, lors de laquelle il a promis de ne plus envoyer «une seule balle» à l’Ukraine, de mettre un terme aux sanctions contre la Russie et de refuser toute immigration. La Slovaquie, qui a été parmi les premiers pays à envoyer à Kyiv chars et avions de combat, n’a plus grand-chose dans ses entrepôts à transmettre à l’Ukraine. Mais sous l’impulsion de Fico, Bratislava pourrait s’ingénier à bloquer les paquets d’aide européens à Kyiv, comme Budapest a déjà entrepris de le faire.

Un discours à Bratislava et un autre à Bruxelles

«Fico est un homme pragmatique, pas un idéologue. A chacune de ses élections, il a construit le discours nécessaire pour gagner, puis il a tenu un discours à Bratislava et un autre plus complaisant à Bruxelles, rappelait en septembre auprès de Libé Jana Vargovcikova, maîtresse de conférences à l’Inalco. Il faut aussi prendre avec une certaine distance ses critiques de l’Otan et de Washington. La relation avec les Etats-Unis est clé pour tous les pays d’Europe centrale et il aurait beaucoup à perdre en la malmenant.»

De fait, l’une des premières déclarations de Fico après la signature de l’accord de coalition a été très tempérée. «L’orientation de la politique étrangère de la Slovaquie restera inchangée et sera basée sur notre appartenance à l’Union européenne et à l’Alliance de l’Atlantique Nord», a-t-il affirmé le 16 octobre. «Avec Fico, le nouveau ministre de la Défense Robert Kalinak a été l’un des critiques les plus virulents de l’accord de coopération militaire avec les Etats-Unis. Il est difficile d’imaginer comment il peut représenter la continuité et comment il peut travailler à un rôle constructif de la Slovaquie au sein de l’Otan», remarque pourtant Daniel Hegedus, analyste au German Marshall Fund, sur X (anciennement Twitter).

La politique étrangère de Fico va rapidement passer un test. Le Premier ministre sera présent au Conseil européen de ce jeudi. L’ordre du jour qui prévoit des discussions sur le soutien à l’Ukraine et sur l’immigration devrait permettre de mesurer son pouvoir de nuisance.