Onze heures du soir à Garabulli, à l’est de Tripoli, le 24 juin 2020. Musa (1), Soudanais d’une vingtaine d’années, s’apprête à prendre la mer. Ce soir-là, ils sont environ 70 à grimper dans un canot pneumatique blanc échoué sur cette plage. Tous ont dans l’espoir de rejoindre Lampedusa en Italie, à près de 300 km au nord-est. Cette route migratoire est l’une des plus dangereuses du monde. Plus de 20 000 migrants y ont péri depuis 2014. La semaine dernière encore, 130 personnes s’y sont noyées.
Douze heures durant, le petit bateau fuse. A mi-journée le 25 juin, il a couvert presque la moitié de la distance qui le sépare de son objectif. «Le bateau avançait bien, nous étions tous assis et nous avions encore suffisamment d’essence.» Mais voilà que Musa revoit le même coucou qu’il avait aperçu au petit matin. «Il était blanc et gris.» Ce matin-là, un avion utilisé par Frontex, l’agence de gardes-côtes et de gardes-frontières européens survole la zone. Il est suivi d’un navire qui accroche finalement la traîne du canot. Sur son flanc, le demandeur d’asile parvient à déchiffrer une inscription, «648 Ras Al Jadar». Puis un blason : le bateau est floqué aux couleurs des garde-côtes libyens.
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Plus puissant, le bateau barre finalement la route du canot de Musa avant de le tamponner. Quatre hommes tombent à l’eau. Deux remontent à bord. Deux disparaissent, explique Musa. A l’arrêt, un Libyen «donne un coup de couteau dans notre bateau», se souvient-il, avant d