La troisième formation politique de Turquie, le HDP (Parti démocratique des peuples) pro-kurde, s’est vue priver jeudi des 539 millions de livres turques (27 millions d’euros) de subventions qui lui étaient destinées et dont le premier versement devait avoir lieu le 10 janvier. Cette décision a été votée par la Cour constitutionnelle à 8 voix contre 7. Le HDP est accusé d’entretenir des liens avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qualifié de groupe terroriste par la Turquie et ses alliés occidentaux.
Purges contre l’opposition
Parti de gauche pro-kurde fondé en 2012, le HDP est depuis les élections législatives de 2018 le troisième plus gros parti de Turquie, ayant obtenu 12% des voix et plus de 60 sièges. Les Kurdes, qui sont 30 à 40 millions, représentent le plus grand peuple dépourvu d’Etat au monde. Répartis principalement entre l’Iran, la Syrie, l’Irak et la Turquie, ils y sont souvent persécutés comme ethnie minoritaire, et tout particulièrement en Turquie, où réside la plus importante communauté (entre 15 et 18 millions). L’attentat de l’avenue Istiklal à Istanbul, le 13 novembre, a ainsi été attribué au PKK, bien qu’il nie son implication. Ankara avait réagi en lançant des raids aériens sur les populations kurdes de Syrie et d’Irak.
En Turquie, l’expansion politique des Kurdes est activement freinée par le pouvoir. Depuis les années 90, une dizaine de partis pro-kurdes ont été suspendus ou se sont dissous par anticipation de leur interdiction. Le HDP tout particulièrement subit une répression intense depuis 2016, lorsque son dirigeant, Selahattin Demirtas, est arrêté dans le cadre des purges menées contre l’opposition. Il sera condamné en 2018 à quatre ans et demi de prison. En parallèle, des dizaines de maires HDP dans les provinces majoritairement kurdes du sud-est de la Turquie sont remplacés par des envoyés gouvernementaux au cours des dernières années. Depuis 2021, des procédures sont en cours pour interdire le parti.
«Discours nationaliste»
La décision de priver le parti de ses subventions intervient alors que des élections présidentielle et législatives sont prévues en juin et que le président, Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis près de vingt ans, risque de ne pas être réélu. Il chercherait donc, selon le Centre de recherches internationales de Sciences-Po, à «s’appuyer sur un discours nationaliste afin d’attirer les voix de l’opposition», en l’occurrence serrer la vis contre le HDP et la communauté kurde. Le parti pro-kurde pourrait jouer un rôle important lors de la prochaine législature : en constituant avec plusieurs petites formations d’extrême gauche un troisième bloc déterminant, il deviendrait «faiseur de rois», arbitrant entre l’Alliance populaire (au pouvoir actuellement) et l’Alliance nationale (d’opposition).
«Cette décision […] vise à empêcher un processus électoral juste et démocratique et à ignorer la volonté des électeurs», a réagi le HDP sur Twitter. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement utilise la justice pour combattre ses opposants. Mi-décembre, le populaire maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, potentiel rival d’Erdogan à l’élection présidentielle, a été condamné à plus de deux ans et demi de prison et à une interdiction d’activité politique. Emma Sinclair-Webb, représentante de l’ONG Human Rights Watch en Turquie, qualifie sur Twitter la décision de «nouvelle preuve que le gouvernement d’Erdogan utilise les tribunaux pour désavantager, éliminer et punir l’opposition politique».