Quelques années avant de se trouver le front moite à googler «acheter pastilles d’iode stable» lors d’une récente nuit d’insomnie à l’aune de l’apocalypse nucléaire, on s’était assis au fond d’un silo sous un champ ukrainien, à 250 bornes au sud de Kyiv, derrière un vétuste poste de commande soviétique de missiles balistiques intercontinentaux. Si vintage avec ses grosses touches en plastique et ses téléphones aux cordons en spirale ! On se souvient même, un peu honteux, d’avoir immortalisé la scène. Quelques photos et vannes vaseuses sur Instagram, du type «tranquillement en train de déclencher la troisième guerre mondiale, haha». Aux enfants du crépuscule de la guerre froide que nous sommes, cette idée que le feu thermonucléaire puisse un jour s’abattre à la surface du globe semblait si bête, si loufoque. Anachronique. Comme une peur ancestrale, presque une superstition.
C’était en 2018. Sur la place Maidan, on vendait des rouleaux de papier toilette à l’effigie de Poutine. La veille, on avait bu des bières au bord du Dniepr avec des journalistes de notre génération, tous formés au feu révolutionnaire. Ils s’habillaient en noir mais rêvaient en bleu et jau