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Libération
«Haine»

Le suicide de la «docteure Lisa-Maria», harcelée par les antivax, met l’Autriche en émoi

Plusieurs villes du pays ont organisé des rassemblements après le décès de la médecin, très engagée pour la vaccination contre le Covid-19. Sa mort relance les débats sur la haine en ligne.
Lors de l'hommage à Lisa-Maria Kellermayr, à Vienne lundi soir. (Alex Halada/AFP)
publié le 2 août 2022 à 12h49

Les cloches retentissent pendant de longues minutes, puis la foule observe le silence sur le parvis de la cathédrale Saint-Etienne. C’est ainsi que plus de 3 000 Viennois ont décidé d’honorer la mémoire, lundi soir, de Lisa-Maria Kellermayr, elle, qui, justement, refusait de se taire. Quelques centaines d’autres personnes étaient rassemblées au même moment dans les villes de Graz, Linz, Wels et Steyr.

L’Autriche est en émoi depuis la nouvelle : Lisa-Maria Kellermayr, médecin généraliste dans la bourgade de Seewalchen, au bord de l’idyllique lac Attersee, en Haute-Autriche, a mis fin à ses jours dans la nuit de jeudi à vendredi, sur son lieu de travail. Elle avait 36 ans.

Le public autrichien connaissait son visage au bien sage serre-tête depuis la pandémie de Covid-19. Sur Twitter, «docteure Lisa-Maria» rapportait, depuis le début de 2020, ses expériences au contact des malades et commentait avec verve la politique sanitaire dans son pays. Les télévisions l’invitaient régulièrement. Elle critiquait les manifestations d’opposants à la vaccination et au masque, nombreuses en Autriche ces deux dernières années. Elle est devenue la bête noire des antivax, se faisant violemment harceler, en ligne comme au travail. Après avoir rendu publiques des menaces de mort à son encontre, la médecin a décidé, en juin, de fermer son cabinet, sans pour autant renoncer à son engagement médiatique.

«Protéger les femmes»

«Quand j’ai appris qu’elle était morte, j’ai cru qu’ils l’avaient finalement tuée», témoigne René, sur le parvis. Cet étudiant, qui connaissait la docteure Kellermayr via Internet, considère les rassemblements de lundi comme des gestes de «solidarité». «Le manque de solidarité, c’est notre plus gros problème actuellement», dit-il. Plus loin, un petit groupe de médecins et d’infirmiers est venu de la Basse-Autriche voisine. Ils s’émeuvent de la détresse des personnels médicaux face au Covid. Un peu plus loin, des féministes brandissent une pancarte : «Protéger les femmes, sur Internet comme dans la vie réelle», tandis qu’une bande de jeunes fixent leurs pieds. Ils sont ici «pour ne pas laisser le monopole des manifestations aux antivax».

Tous s’accordent pour voir dans le suicide de Lisa-Maria Kellermayr le symptôme d’une société en souffrance, sans pour autant s’accorder sur le mal précis. «On ne peut pas isoler une seule cause au décès de Lisa, comme souvent dans ces cas», précise bien l’organisateur de la commémoration, le militant viennois Daniel Landau, qui a fait connaissance avec la jeune généraliste cet été.

Une poignée de responsables politiques, de gauche et de droite, font une apparition. De nombreux autres ont réagi publiquement à la nouvelle du suicide, jusqu’au président de la République : l’ex-Vert Alexander Van der Bellen a déposé lundi une gerbe de fleurs devant le cabinet vide de Seewalchen, un «geste en faveur de la cohésion sociale et contre la haine».

Néonazis soupçonnés d’être à l’origine des menaces

Les hommages se sont néanmoins largement taris après le week-end, la polémique prenant le dessus. L’atmosphère est lourde en Autriche, comme dans la chanson de Bob Dylan Who killed Davey Moore ? Qui est responsable de la mort de Lisa-Maria Kellermayr ? Tous se renvoient la faute. L’extrême droite, alors que des néonazis sont soupçonnés d’être à l’origine des menaces de mort ? La police, qui aurait bâclé son enquête et conseillé à la victime de simplement «faire moins parler d’elle» ? Le psychiatre auquel elle aurait, selon les médias, confié son désespoir quelques jours seulement avant de passer à l’acte ? Les médias qui ont contribué à en faire le punching-ball des antivax ? Les réseaux sociaux ? La chambre des médecins ?

Le drame remet la haine en ligne au centre des débats. Le quotidien Der Standard rapporte ainsi un dernier entretien avec Lisa-Maria Kellermayr la veille de son décès et la cite : «Ce qui m’arrive peut arriver à n’importe quel citoyen.» L’application spécialisée BanHate indique que 2 817 cas d’attaques en ligne lui ont été rapportés en Autriche l’année dernière. Un chiffre en hausse de 66 % par rapport à la période pré-pandémie.