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Raz-de-marée

Législatives au Royaume-Uni : le Labour triomphe, les conservateurs sombrent, Farage élu député

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Le parti travailliste a réalisé ce qui était impensable il y a encore cinq ans : reprendre la tête du pays après 14 années de gouvernement conservateur, alors que les tories enregistrent la pire défaite de leur histoire.
Keir Starmer, leader du Labour, célèbre la victoire de son parti à la Tate Modern de Londres, jeudi soir. (Suzanne Plunkett/Reuters)
par Juliette Démas, correspondante à Londres
publié le 5 juillet 2024 à 7h37
(mis à jour le 5 juillet 2024 à 11h41)

Au Royaume-Uni, le décompte des voix est une affaire nocturne. Le jour du scrutin, à 22 heures, les urnes sont scellées et conduites vers les centres de comptage, où les plus jeunes et les plus en forme sprintent pour les apporter aux armées de petites mains prêtes à trier, recenser et applaudir jusqu’à l’aube. A la même heure, les premières estimations sont annoncées : jeudi soir, la victoire tant attendue du Labour a bien eu lieu, et c’est un raz-de-marée. Au cours de la nuit, la quasi-totalité des résultats des 650 circonscriptions britanniques sont tombés les uns après les autres, chacun apportant sa pièce au puzzle de la défaite la plus sévère de l’histoire du parti conservateur.

Sur la BBC, les présentateurs et invités n’ont pas de mots assez forts. C’est «une météorite électorale», un résultat «extraordinaire» sur lequel personne n’aurait parié il a cinq ans, une nuit «dévastatrice» pour les conservateurs, qui avaient récupéré 365 sièges lors des dernières élections en 2019, et n’en conservent plus que 121. Le Labour, qui avait besoin de 326 sièges pour gagner une majorité absolue, en détient désormais 412, selon des résultats presque définitifs.

Pour le gouvernement sortant, l’humiliation est totale. Les députés tories restent stoïques, préparés depuis longtemps à leur déconfiture alors qu’on leur demande de commenter en direct leurs résultats abyssaux. Des ténors du parti ont perdu des sièges plus que sûrs, sur lesquels ils avaient pourtant concentré une campagne défensive. L’ancien fief de Margaret Thatcher est passé aux mains du Labour. La secrétaire d’Etat à l’éducation Gillian Keegan a perdu une circonscription tenue depuis plus d’un siècle. Penny Mordaunt, pressentie pour reprendre la tête des tories dans un futur proche, ne retournera pas au Parlement, tout comme les Brexiteurs-en-chef Jacob Rees-Mogg et Steve Baker, pourtant figures majeures de la vie politique britannique depuis 2010. Les anciens sièges des trois anciens Premiers ministres David Cameron, Theresa May et Boris Johnson sont repris par les libéraux-démocrates et, dans le cas de Johnson, par le Labour ! Quant à l’ancienne et très brève (42 jours) Première ministre Liz Truss, elle perd aussi son siège au profit du Labour, alors qu’elle détenait une majorité de plus de 26.000 voix. Pas moins de onze ministres ont perdu leur place – un record jusqu’alors établi à sept lors de l’élection de Tony Blair en 1997. Au Pays de Galles, c’est une éradication : le parti tory a perdu l’intégralité de ses 12 sièges.

«Le changement commence maintenant»

Un peu avant 5 heures du matin, Rishi Sunak, qui garde son siège de député, a lui-même admis la défaite, commentant «un verdict qui donne à réfléchir», et assumant «sa responsabilité pour les pertes». «Je suis désolé», a-t-il ajouté, sombre, avant de prendre la route pour Londres pour remettre sa démission au roi Charles III. Quelques secondes plus tard, son ministre des Finances, bon joueur, louait «la magie de la démocratie» et félicitait ses adversaires. Keir Starmer, le chef des travaillistes a tenu un discours triomphal depuis le hall du musée de la Tate Modern à Londres. «On l’a fait ! Le changement commence maintenant. Profitez de ce vote, personne ne pourra dire que vous ne l’avez pas attendu patiemment», s’est-il réjoui, promettant un parti «transformé», prêt à «se battre pour la confiance» des citoyens.

Ces élections, marquées par la volatilité du vote et par un appétit pour le changement et plus de sérieux en politique, se sont jouées sur deux préoccupations principales : l’état du service de santé, et le coût de la vie. Pour les Britanniques déçus des 14 dernières années, elle a un goût de revanche : ils ont voté contre l’amateurisme politique des conservateurs, le Brexit, l’austérité, la pollution des eaux, les fêtes illégales en plein confinement, les scandales à répétition… Beaucoup plus que pour le projet du Labour. Le taux de participation, autour de 60 %, est d’ailleurs le plus faible depuis 2001.

La victoire du Labour s’explique aussi par la montée de Reform UK, parti d’extrême droite mené par Nigel Farage qui a divisé le vote à droite et propulsé le Labour en tête dans un nombre important de sièges, alors qu’en pourcentage de voix, à 34 %, il n’obtient que 2 % de plus qu’aux dernières élections de 2019, où les travaillistes avaient enregistré leur pire défaite depuis 1935 face à des conservateurs menés par Boris Johnson. Les conservateurs perdent eux 20 points en pourcentage des voix, à 24 %. Les tories n’avaient jamais dans leur histoire passé la ligne des 30 %.

Après sept tentatives infructueuses, Farage a enfin réussi à se faire élire député, ainsi que trois de ses collègues, réalisant son rêve le plus fou. Son parti obtient 4 sièges, dans les circonscriptions qui, en 2016, avaient le plus voté Brexit. Un autre changement majeur est à observer en Ecosse, où le Labour a récupéré plus d’une trentaine de sièges perdus par les nationalistes du SNP et effectue un grand retour dans une région qu’il a historiquement contrôlée. Au cours des dernières années, le SNP a vu son soutien s’éroder à la suite de changements de leaders et de divisions internes, et n’est pas parvenu à résister à l’usure du pouvoir. Comme les autres nations dévolues, l’Ecosse a cependant sa propre Assemblée et conduira des élections locales en 2026. Les Libéraux-démocrates, après une campagne enflammée, de leur côté effectuent également une forte percée avec 71 sièges selon des résultats provisoires, un gain de 63 sièges par rapport au parlement précédent !

L’ancien leader du parti travailliste, Jeremy Corbyn, exclu du Labour pour avoir critiqué un rapport indépendant lui reprochant «son manque de volonté de s’attaquer à l’antisémitisme» au sein de la formation de gauche pendant qu’il la dirigeait entre 2010 et 2015, se présentait en indépendant dans sa circonscription londonienne d’Islington. Il a été largement réélu, sur une campagne très pro-Gaza. Enfin, en Irlande du Nord, Ian Paisley du DUP a perdu le siège tenu par sa famille depuis les années 1970 et le Sinn Féin devient le premier parti de la province.

Pour le Royaume-Uni, une page est tournée. «Un poids a été levé», affirme Keir Starmer. La suite sera rapide : il rencontrera Charles III en fin de matinée vendredi, avant d’entrer par la célèbre porte noire du 10 Downing Street, et de commencer à former son gouvernement. Les défis à relever sont nombreux, et les attentes écrasantes, mais en se levant ce vendredi matin, les Britanniques malmenés par plusieurs années de politique tumultueuse peuvent enfin pousser un soupir de soulagement.

Mis à jour le 05/07/2024 à 11h39 avec plus de résultats et contexte.