«Much ado about nothing», beaucoup de bruit pour rien, pour citer le titre de la pièce de Shakespeare… Car c’est une comédie que Viktor Orbán a offerte à ses vingt-six partenaires depuis plusieurs semaines en menaçant de poser son veto au lancement des négociations d’adhésion à l’Union avec l’Ukraine. Finalement, le Premier ministre hongrois n’a même pas attendu la fin de la première journée du sommet européen, qui a débuté ce jeudi à Bruxelles, pour finalement accepter ce qu’il qualifiait encore le matin d’inacceptable : «Il n’y a aucune raison de discuter quoi que ce soit, car les conditions [pour ouvrir de négociations avec l’Ukraine] n’ont pas été remplies», clamait-il encore bravache à son arrivée au sommet.
En bon comédien, il a mis en scène sa capitulation en surjouant la tragédie : au moment où Charles Michel, le président du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, s’assurait, en fin d’après-midi, qu’il y avait bien un consensus autour de la table, Orbán a quitté la salle. «Il est en désaccord avec cette décision, mais il a décidé de ne pas utiliser son pouvoir de veto», a résumé le Premier ministre irlandais Leo Varadkar.
«C’est une victoire pour l’Ukraine»
Immédiatement, et pour poursuivre sa comédie, Orbán diffusait sur son compte X (anciennement Twitter) une vidéo manifestement préparée à l’avance, car parfaitement montée et sous-titrée en anglais, dans laquelle il explique que «la Hongrie ne veut pas partager la responsabilité» de ce choix «insensé». «L’Ukraine n’est pas prête», y martèle-t-il. «L’élargissement est un processus juridiquement détaillé et basé sur le mérite. Nous avons fixé sept conditions et d’après l’évaluation de la Commission, trois d’entre elles ne sont pas remplies.»
Quoi qu’il en soit, Orbán évite à l’Union une crise de belle ampleur, car un blocage, même s’il n’est le fait que d’un petit pays de moins de 10 millions d’habitants pesant à peine 1 % du PIB européen, aurait constitué un signal politique désastreux à l’égard de l’Ukraine et aurait réjoui son bourreau, la Russie. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui avait supplié le matin même, via vidéoconférence, les Vingt-Sept de ne pas offrir à «Poutine cette première et seule victoire de l’année», n’a pas caché son soulagement sur X : «C’est une victoire pour l’Ukraine. Une victoire pour toute l’Europe. Une victoire qui motive, inspire et rend plus fort.» «l’Histoire est écrite par ceux que ne se lassent pas de se battre pour la liberté», a-t-il ajouté.
The #EUCO decision to open EU accession negotiations with Ukraine and Moldova has been adopted.
— Volodymyr Zelenskyy / Володимир Зеленський (@ZelenskyyUa) December 14, 2023
I thank everyone who worked for this to happen and everyone who helped. I congratulate every Ukrainian on this day.
I also congratulate Moldova and personally @SanduMaiamd.…
Les réactions se sont multipliées. A Washington, la Maison Blanche a salué la «décision historique» de l’UE, alors que le chancelier allemand Olaf Scholz estimait que la décision de l’Union européenne d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Ukraine représente «un signe fort de soutien» et offre «une perspective» pour ce pays. De son côté, le président français Emmanuel Macron a salué une «réponse logique, juste et nécessaire». Il a appelé le président Zelensky pour le «féliciter», a indiqué l’Elysée.
L’Ukraine entamera ses négociations d’adhésion sans doute au premier semestre 2024, une fois que toutes les conditions préalables fixées par la Commission (dont la protection de la minorité hongroise) auront été remplies. Elle ne sera pas seule, puisque la Moldavie a aussi obtenu un feu vert. Quant à la Géorgie, elle a obtenu le statut de «pays candidat», dernière étape avant l’ouverture de négociations d’adhésion.
Bataille financière
Reste à savoir ce qu’Orbán a obtenu en échange. Charles Michel a seulement lâché, toujours sur X, que la Commission devra rendre d’ici mars un rapport sur l’état de préparation de la Bosnie-Herzégovine, elle aussi candidate à une adhésion à l’UE, afin de décider éventuellement d’ouvrir des négociations. Or, pour Budapest, soutenu sur ce point par Vienne, il s’agissait d’un point central. Le Premier ministre hongrois a-t-il obtenu davantage ? En fin de soirée jeudi, on l’ignorait encore.
Désormais, la bataille financière s’engage : la Commission propose d’accorder une aide macro-économique à l’Ukraine de 50 milliards d’euros (17 milliards de dons, 33 milliards de prêts bonifiés) plus 20 milliards d’aide militaire. Or, là aussi, Orbán menace de bloquer s’il n’obtient pas le déblocage de la vingtaine de milliards d’euros que l’Union refuse de lui verser à cause des atteintes qu’il porte à l’Etat de droit dans son pays. «La continuation et la hausse» de l’aide sont une «question existentielle», a mis en garde le ministre des Affaires étrangères de l’Union, l’Espagnol Josep Borrell. Outre cette aide à l’Ukraine, les Vingt-Sept vont devoir se mettre d’accord sur l’augmentation du budget européen réclamé par la Commission (49 milliards sur trois ans hors aide à l’Ukraine). Et là, ce n’est pas la Hongrie qui risque de bloquer, mais l’Allemagne et ses alliés du nord de l’Europe qui ne veulent pas dépenser un euro supplémentaire pour l’Union… D’une crise évitée à une crise certaine ?