«Préserver la stabilité et l’intégrité du Royaume-Uni.» Voilà comment le gouvernement britannique justifie son nouveau et stupéfiant projet de loi permettant d’outrepasser certaines parties de l’accord du Brexit, pourtant allègrement signé de la main du Premier ministre, Boris Johnson, il y a deux ans. L’Union européenne (UE), qui juge le plan illégal, menace déjà Londres de représailles légales. Le projet vise uniquement le protocole nord-irlandais, sorte de douanes européennes entre le marché commun et le Royaume-Uni en mer d’Irlande. Celui-ci a été négocié pour éviter le retour d’une frontière physique entre les deux Irlandes, symbole de la période des Troubles qui a fait plus de 3 500 victimes entre 1968 et 1998. Problème, l’instauration de contrôles dans les ports nord-irlandais concerne aussi les échanges commerciaux entre l’île et le reste du royaume. Un point qui provoque la fureur de la communauté unioniste, très attachée à la monarchie et à sa place au sein du Royaume-Uni.
«La renégociation est irréaliste»
De son côté, le Parti unioniste démocrate (DUP) refuse, lui, de reformer un exécutif en Irlande du Nord tant que le protocole n’est pas retiré. Depuis des mois, l’Irlande du Nord est donc sans gouvernement. Une situation tendue alors même que le protocole n’est toujours pas appliqué dans son entièreté. En outre, les relations entre Londres et Bruxelles sont au plus bas et les négociations sur le sujet au point mort. «Ce projet de loi […] est une solution raisonnable et pratique aux problèmes auxquels l’Irlande du Nord est confrontée, a défendu la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, ce lundi en début de soirée, dans une vidéo officielle. Nous ne pouvons progresser par le biais des négociations que si l’Union européenne est disposée à modifier le protocole lui-même – pour le moment, ce n’est pas le cas. En attendant, la gravité de la situation signifie que nous ne pouvons pas nous permettre de la laisser dériver. Nous sommes très clairs sur le fait que nous agissons conformément à la loi.»
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Le projet de loi comprend la création de deux voies commerciales entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. Une verte et une rouge afin de distinguer les marchandises circulant à l’intérieur du Royaume-Uni des biens à destination de l’UE. L’objectif est de «supprimer les formalités administratives» qui pèsent sur les entreprises commerçant au sein du pays, a ensuite déroulé la ministre. Enfin, le gouvernement britannique souhaite se débarrasser des règles empêchant la province de bénéficier des mêmes aides fiscales que le reste de la Grande-Bretagne et mettre fin au rôle d’arbitre de la Cour européenne de justice. Son adoption, très incertaine, pourrait prendre des mois puisque le texte doit passer devant la Chambre des communes, puis devant les Lords. «La renégociation du protocole est irréaliste. Toute renégociation ne ferait qu’accroître l’incertitude juridique pour les personnes et les entreprises d’Irlande du Nord. Pour ces raisons, l’UE ne renégociera pas le protocole, a dénoncé le vice-président de la Commission européenne, Maroš Šefčovič, lundi en fin d’après-midi. C’est avec une grande inquiétude que nous prenons note de la décision prise aujourd’hui par le gouvernement britannique. L’action unilatérale nuit à la confiance mutuelle.»
Ajustements insignifiants
En présentant ce texte, le gouvernement espère convaincre le DUP de reformer l’Assemblée nord-irlandaise avant l’été. Pour le Premier ministre, en difficulté depuis des mois, c’est aussi un moyen de regagner en autorité. La semaine dernière, à l’occasion d’une motion de défiance, 148 de ses députés conservateurs, soit 41 % de la majorité tory, ont signifié leur envie de changer de leader. S’ajoute à tout cela le fait que les retombées économiques du Brexit, tant promises par le dirigeant conservateur, se font toujours attendre. «Une communauté se sent actuellement oubliée et nous devons réparer ça. Un changement administratif s’impose», a commenté en souriant Boris Johnson, lundi matin, lors d’une visite dans une ferme de brocolis. Avant d’estimer que le projet de loi ne viole pas la loi internationale, ce qu’estiment nombre de juristes, mais ne représente qu’«un ensemble d’ajustements insignifiants» et que la perspective d’une guerre commerciale est «une réaction excessive et grossière».
Pour l’instant, le gouvernement britannique peine à convaincre. Du côté du DUP, on salue bien cette «première étape», mais on rappelle que leur position restera la même tant qu’il n’y aura pas de preuve de changement concret. Les autres partis nord-irlandais ont, eux, rejeté «dans les termes les plus forts possibles la nouvelle législation, qui va à l’encontre des souhaits exprimés non seulement par la plupart des entreprises, mais aussi par la plupart des habitants d’Irlande du Nord», ont-ils écrit dans une lettre publiée en amont de la publication du projet de loi.
La réputation du Royaume-Uni comme partenaire fiable, que ce soit dans des négociations commerciales ou diplomatiques, est sans aucun doute écornée par cette décision. D’ailleurs, un groupe de députés conservateurs est aussi monté au créneau. Dans un document, dévoilé dimanche par le site Politico, ceux-ci estiment que le projet de loi est «dommageable pour tout ce que le Royaume-Uni représente». Et d’ajouter qu’ils ne voteront pas le texte, car «nous sommes un pays qui agit avec intégrité et honore les accords que nous signons».