Personne ne l’avait vu venir : Olaf Scholz, le candidat de la gauche social-démocrate (SPD), n’a jamais été une star de la politique. L’ancien maire de Hambourg est plutôt l’incarnation de l’ennui avec ses réponses toutes faites. D’où le surnom de «Scholzomat». Et pourtant, moins de deux semaines avant le scrutin législatif, il apparaît comme le seul candidat capable de revêtir les habits d’un chancelier. Selon les sondages, plus de la moitié des Allemands estime qu’il a les compétences pour diriger le pays.
Le deuxième grand débat télévisé entre les trois principaux prétendants au trône, qui avait lieu dimanche soir à la télévision publique, a confirmé la confiance que Scholz inspire aux Allemands. Il a été jugé «convaincant» par 41 % des téléspectateurs lors du sondage de l’émission, devant le conservateur Armin Laschet (27 %) et l’écologiste Annalenna Baerbock (25 %). Le candidat social-démocrate a même réussi à convaincre les électeurs indécis, qui lui donnent dix points d’avance.
Olaf Scholz, l’actuel ministre des Finances, n’avait pourtant aucune chance de gagner. Du moins, c’est ce que pensait Armin Laschet. En janvier, la situation était encore très confortable pour le président de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) qui pensait arriver en train couchette à Berlin. Les conservateurs étaient à 36 % dans les sondages. La semaine dernière, ils sont tombés sous la barre des 20 %, se faisant dépasser par le SPD pour la première fois depuis 15 ans.
Du coup, les bouleversements sur l’échiquier politique relancent le jeu des alliances. Alors qu’on préconisait en début d’année une coalition entre les conservateurs et les écologistes, toutes les combinaisons paraissent actuellement imaginables tellement la partie est serrée. Seule l’extrême droite (AfD) reste hors-jeu, personne ne voulant s’allier avec eux.
«Ménage à trois»
Le succès inespéré d’Olaf Scholz, qui profite de la faiblesse de ses adversaires, redonne même espoir aux partisans d’une «union de la gauche» entre SPD, Verts et le mouvement des déçus du schrödérisme, Die Linke. Crédité de 25 % des voix, le SPD devra en effet faire «ménage à trois» en cas de victoire. Le SPD et Die Linke s’entendent sur le terrain du social. Les deux formations de gauche sont favorables à l’augmentation du SMIC, à l’encadrement des loyers, au maintien de l’âge de la retraite, à la réintroduction de l’impôt sur la fortune et à l’augmentation de l’imposition pour les plus riches.
Reportage
Par ailleurs, les Linke sont électoralement plus fréquentables qu’avant. Lointain héritier du parti communiste est-allemand, ils ont perdu leur caractère protestataire, récupéré depuis 2015 par l’extrême droite à l’occasion de la crise des réfugiés. La gauche radicale, dont le maintien à l’assemblée fédérale (Bundestag) reste fragile, fait désormais partie de l’establishment.
Olaf Scholz, aux idées plutôt libérales, doit laisser la porte ouverte à cette union de la gauche pour des raisons tactiques. D’abord, Die Linke reste une option sérieuse pour sauver son gouvernement si les libéraux lui faisaient faux bond après le 26 septembre, comme ce fut le cas en 2017 lors des négociations avec les conservateurs et les Verts. Par ailleurs, son parti est plus proche des Linke que des libéraux. Olaf Scholz, qui a défendu les réformes controversées de Gerhard Schröder (à l’origine de la scission de la gauche), ne représente pas le SPD. Il a été choisi candidat par défaut, la direction n’ayant trouvé aucun ponte pour faire ce job destiné au départ à limiter la casse électorale.
En 2019, Olaf Scholz s’était même fait humilier par le SPD qui lui avait refusé la présidence au profit de deux représentants de l’aile gauche. Ses adversaires l’accusaient de «ne pas être un social-démocrate».
Merkel agite le chiffon rouge
Si cette union de la gauche est réalisable sur le plan social, elle l’est beaucoup moins en politique étrangère. Die Linke réclame la sortie de l’OTAN et un rapprochement avec Moscou, des revendications inacceptables pour le SPD et les écologistes dont les positions atlantistes sont inscrites dans les gènes.
Pour cette raison, Janine Wissler, la tête de liste des Linke, a fait des avances à Olaf Scholz en présentant le 7 septembre un nouveau programme électoral plus «soft» et adapté aux négociations qui auront lieu après le scrutin. «Nous sommes à la veille d’un changement politique», s’est-elle félicitée, y voyant surtout une chance de sauver son mouvement du déclin.
Quant à la droite, elle y voit une chance de sortir de l’impasse. Complètement désorientée par la campagne désastreuse d’Armin Laschet, elle attaque désormais Olaf Scholz avec les bonnes vieilles méthodes de la guerre froide, en l’accusant de remettre en cause l’OTAN et l’Union européenne. «Vous voulez travailler avec l’extrême gauche. Vous ne le dites pas clairement aux électeurs. Vous êtes malhonnête», a attaqué dimanche Armin Laschet dans le débat télévisé.
Même la chancelière, qui s’était pourtant mise en retrait de la campagne, a agité le chiffon rouge au Bundestag. «On ne gouverne pas avec n’importe qui», a-t-elle prévenu à l’occasion de son dernier discours devant les députés. «Mamie Merkel nous raconte le communisme», se moquait le lendemain la Taz, le quotidien de la gauche alternative – Merkel vient de l’Est. Cette tactique du dénigrement exprime surtout le désarroi d’une droite qui panique face à une défaite qui s’approche inexorablement.
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