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Guerre

L’Union européenne débloque 5 milliards d’euros d’aide militaire pour l’Ukraine

Les Vingt-Sept se sont accordés mercredi 13 mars sur une enveloppe qui s’ajoutera aux 6,1 milliards déjà débloqués depuis l’invasion russe en février 2022.
Des soldats ukrainiens dans la région de Donetsk le 5 mars. (Diego Herrera Carcedo/Anadolu via AFP)
par Jean Quatremer, Correspondant européen
publié le 14 mars 2024 à 19h45

Les Vingt-Sept sont parvenus à un accord, mercredi 13 mars, pour financer l’aide militaire destinée à l’Ukraine, six semaines après celui obtenu, le 1er février, sur le déblocage d’un nouveau paquet financier (50 milliards d’euros, dont 17 milliards de dons) : la Facilité européenne pour la paix (FEP) recevra 5 milliards d’euros de plus en 2024, qui s’ajouteront aux 6,1 milliards déjà dépensés depuis février 2022, afin de fournir le matériel militaire dont Kyiv a besoin.

La négociation a été particulièrement compliquée, non pas à cause d’une quelconque «fatigue de la guerre», mais parce que l’Allemagne, principal bailleur de fonds avec la France (43 % du FEP à eux deux), préférait désormais privilégier les aides bilatérales (elle a programmé 8 milliards d’euros dans son budget 2024 à cet effet), jugeant que le fonctionnement de la FEP, qui ne mérite vraiment pas son nom, n’avait pas été optimal. Elle estimait aussi que cela permettrait de ne pas passer par un vote à l’unanimité des Vingt-Sept pour utiliser l’argent, la Hongrie de Viktor Orbán ne s’étant pas privé d’utiliser son veto : ainsi, elle bloque toujours le versement d’une tranche de 500 millions d’euros.

Sonner la fin de la récréation

On peut comprendre la frustration de Berlin, car l’Union européenne a largement dû improviser dans un domaine qui lui était jusque-là étranger : la défense. Trois jours après le début de l’invasion russe du 24 février 2022, Bruxelles a activé la Facilité européenne pour la paix, un fonds créé en 2021 afin de financer les actions de politique étrangère et de sécurité commune de l’UE, y compris en fournissant une aide militaire à un pays tiers. Afin d’encourager les Vingt-Sept à vider rapidement leur stock d’armes au profit de l’Ukraine, il a été décidé d’indemniser les Etats à hauteur de 50 % du matériel livré. «Ça a parfaitement fonctionné, ça a créé de la solidarité entre les Etats membres et ça a montré que l’Europe était présente», se réjouit un diplomate de haut niveau.

Mais, reconnaît-il, «beaucoup de pays en ont profité pour refourguer leurs vieux équipements, y compris ceux datant de l’époque soviétique, en le facturant au prix du neuf afin de moderniser leur armée». Après deux ans de guerre, Berlin a donc estimé qu’il était temps de sonner la fin de la récréation. Fin 2023, elle a donc refusé tout net la proposition du ministre des Affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, de réalimenter une FEP inchangée à hauteur de 20 milliards pour la période 2024-2027, soit 5 milliards par an.

La France, en revanche, était totalement opposée à l’enterrement de la FEP qui aurait envoyé un signal désastreux alors qu’Emmanuel Macron milite pour une Europe de la défense. De fait, le passage au tout bilatéral risquait d’aboutir à ce que les Vingt-Sept achètent tous azimuts, et notamment aux Etats-Unis qui disposent de larges stocks, sans souci de coordination et de standardisation. «Sur la période 2022-2023, 89 % du matériel livré à l’Ukraine provenait des stocks des armées, 11 % des achats sur les marchés. Une proportion qui va maintenant s’inverser puisque les stocks sont à l’os et c’est pour ça qu’il fallait réformer la FEP pour pousser les Etats à se coordonner», explique un diplomate français. Il s’agissait aussi d’être raccord avec le «programme européen pour l’industrie de défense» (Edip, selon son acronyme anglais) que concoctait le commissaire à la défense, Thierry Breton – et qui a été présenté le 3 mars – dont le but est de doper la base industrielle européenne de défense, un projet que les Etats-Unis et leurs entreprises du secteur essayent de torpiller via leurs proxys européens.

«On passe d’une logique de stock à une logique de production»

Il a été finalement convenu que sur les 5 milliards, 800 à 900 millions serviraient à payer le matériel déjà en cours de livraison et 500 millions à financer les formations de militaires ukrainiens en Pologne. Sur les 3,6 milliards restant, 1 milliard financera des commandes publiques de matériels «made in EU» et le reste pourra être dépensé auprès de pays tiers, mais uniquement si le matériel nécessaire n’est pas disponible. Cette «priorité européenne si possible» permettra de donner de la visibilité aux industriels locaux en encourageant des commandes publiques groupées, de faire baisser les prix et d’obtenir une standardisation des matériels alors que jusque-là les Ukrainiens recevaient tout et n’importe quoi en fonction des stocks disponibles. «On passe d’une logique de stock à une logique de production», souligne un ambassadeur.

Pour 2025, lorsque les 5 milliards seront dépensés, rien n’est encore prévu. Mais Paris espère que le FEP réformé aura fait ses preuves et que les Vingt-Sept remettront au pot. D’autant que la Commission va proposer au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, qui se réunit jeudi 21 et vendredi 22 mars à Bruxelles, d’utiliser les 3 milliards d’euros générés par les avoirs russes gelés pour aider l’Ukraine, une somme qui pourrait être affectée à la FEP, comme on l’espère à Paris.

Mais, comme rien n’est simple en Europe, il a fallu rassurer les Allemands. Empêtrés dans leurs problèmes budgétaires, ils ne voulaient pas que leur contribution au FEP (1,25 milliard) s’ajoute aux 8 milliards d’aide bilatérale déjà programmé. Il a été convenu que chaque pays paiera simplement sa contribution nette : le FEP remboursant 50 % du matériel livré, si l’Allemagne envoie en Ukraine 2,5 milliards d’euros d’aides éligibles au FEP, elle ne verserait rien pour éviter qu’elle débourse avant d’être remboursée. De fait, la FEP est budgétairement un jeu d’écriture. Pour la France, cela signifiera qu’elle devra envoyer 1,6 milliard de matériels pour ne pas verser sa cotisation de 800 millions. «C’est un moyen d’inciter les Etats à aller le plus loin possible dans leur aide à l’Ukraine tout en respectant les critères du FEP.» Au final, ce FEP réformé permettra à l’Ukraine de recevoir l’aide dont elle a besoin et à l’Europe industrielle de la défense de bénéficier d’une bonne partie des 5 milliards d’euros.