Quand Andrea Prudente est arrivée à Malte en juin pour quelques jours de vacances, elle ne savait pas que l’avortement y était interdit, quelle qu’en soit la raison. Elle l’a découvert à ses dépens et de la pire des manières, après avoir fait une fausse couche partielle lors de sa seizième semaine de grossesse. Les médecins de l’île lui ont annoncé que son fœtus n’avait plus aucune chance de survie, qu’elle-même risquait une infection potentiellement mortelle, mais qu’ils ne pouvaient rien faire tant que les battements de cœur du fœtus pouvaient encore être détectés. Pendant cinq jours, Andrea Prudente est restée bloquée en observation à l’hôpital Mater Dei, où les médecins vérifiaient régulièrement que les pulsations cardiaques du bébé qui ne naîtrait jamais étaient toujours audibles. Finalement, malgré les risques d’hémorragie en vol, elle a été évacuée vers l’Espagne où elle a été prise en charge.
L’histoire de cette touriste américaine, et une pétition signée par 135 médecins de l’île, a poussé le gouvernement socialiste maltais à entrouvrir la porte à l’avortement légal. Un projet de loi a été déposé lundi pour «protéger la santé des femmes enceintes souffrant de complications médicales pouvant mettre leur vie en danger ou nuire gravement à leur santé». L’IVG restera illégale dans tout autre cas, y compris pour les cas de malformations graves du fœtus ou de grossesse issue d’un viol.
Jusqu’à 400 avortements clandestins par an
Pour la petite île très catholique, c’est un pas en avant, minime au regard des standards européens, mais important pour l’opinion publique. «S’il y avait un référendum sur l’avortement aujourd’hui, nous perdrions», expliquait l’an dernier à Libé Isabel Stabile, la seule gynécologue maltaise ouvertement pro-IVG. 61,8% de la population se dit encore strictement opposée à l’IVG.
Reportage
Aujourd’hui, un médecin qui pratique l’avortement à Malte risque quatre ans de prison. En théorie, une femme qui avorte clandestinement est elle aussi passible d’emprisonnement mais aucune poursuite n’a été engagée depuis des années. Jusqu’à 400 femmes (sur une population de plus de 500 000 habitants) ont malgré tout recours à l’IVG tous les ans, en partant ou en commandant des pilules abortives à l’étranger, selon l’ONG maltaise Doctors for Choice.
«Détourner le regard»
«Ces derniers mois, j’ai rencontré des dizaines de femmes qui ont avorté grâce à des pilules. Tout le monde le sait mais il est plus facile de détourner le regard. Ces femmes m’ont toutes dit la même chose : elles ont été stigmatisées et n’ont reçu aucun soutien. En cas de complications, elles n’oseraient pas aller à l’hôpital de peur d’être emprisonnées», a reconnu le Premier ministre Robert Abela, dans une déclaration très rare pour la scène politique maltaise. Son parti travailliste, qui dispose d’une confortable majorité au Parlement, devrait voter en faveur de la proposition de loi.
Dans les cercles conservateurs, on sonne déjà l’alarme, pour dénoncer une loi trop «laxiste». «Avec l’amendement du gouvernement, une grossesse pourrait être interrompue, non seulement dans les cas où la vie de la femme est en danger, mais aussi en cas de troubles mentaux», écrivent un gynécologue, un juriste et un prêtre dans un texte publié par les principaux journaux maltais.