Syndicat, ONG, parti, association, officine ? La presse espagnole ne sait trop comment définir Manos Limpias («mains propres»), la structure (un «collectif de fonctionnaires publics», d’après son site) qui a porté plainte contre Begoña Gómez, la femme du Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, pour «trafic d’influence» et «corruption». Mais la chose est largement connue de l’opinion : depuis plusieurs années, Manos Limpias et sa tête visible, Miguel Bernad, ont multiplié les actions judiciaires contre toutes sortes de cibles (personnel politique, entreprises, banques). Déguisée en groupe citoyen qui pourfend les détournements d’argent public, c’est en fait une organisation spécialisée dans l’extorsion de fonds, sur le modèle «si vous voulez éviter des poursuites, vous passez à la caisse».
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Dire que Miguel Bernad, l’homme qui se cache derrière Manos Limpias, est proche de l’extrême droite est un euphémisme. Né en 1942, il a milité dans les rangs de Fuerza Nueva (Force nouvelle), le seul parti espagnol qui se réclamait du dictateur Franco après sa mort. Faute de militants, Fuerza Nueva se dissout en 1982.
Condamnés pour détournement
Miguel Bernad prend alors le relais et rêve d’un parti inspiré du Front national de Jean-Marie Le Pen. Ce sera en 1983 le Frente nacional, qui ne dépassera pas le statut de groupuscule, tout comme Droite espagnole, qu’il crée en 1986. Le pseudo «syndicat de fonctionnaires» Manos Limpias, créé en 1995, s’est installé ironiquement rue Ferraz, dans le centre de Madrid, à quelques numéros du siège du Parti socialiste (PSOE). Il est aujourd’hui logé, plus modestement, au premier étage d’une vieille maison de Salamanque.
Bernad et son collectif (dont il est peut-être l’unique membre) ont été partie civile dans plusieurs procès, mais ont aussi fréquenté les prétoires en tant qu’accusés. En 2011, Manos Limpias prétend défendre les victimes de Forum Filatelico, une société qui promettait des bénéfices mirifiques à travers l’achat de timbres rares. Quand la pyramide de Ponzi s’effondre, Bernad et son avocate démarchent les milliers d’épargnants floués, mais ils se partagent l’argent récolté. Ils seront condamnés pour détournement.
Selon un scénario bien rodé, Manos Limpias contacte des personnes ou des sociétés dont le nom apparaît dans un scandale et demande de fortes sommes pour, soit éviter le dépôt d’une plainte, soit pour abandonner des poursuites déjà engagées. Certaines victimes ont accepté le chantage, afin de sauvegarder leur réputation et d’économiser des frais de justice, puisqu’une enquête dure plusieurs mois et que, même en cas de non-lieu, l’affaire aura été médiatisée.
«Ethiquement répréhensible»
En 2016, Bernad est mis en examen et placé en détention provisoire pour avoir fait pression sur plusieurs banques. Il passera huit mois derrière les barreaux. Il est condamné en 2021 à quatre ans ferme. Mais, surprise, en février, le Tribunal suprême annule le jugement en jugeant que le caractère illégal de ces pressions n’est pas établi. Tout en assurant dans ses attendus que le comportement de Bernad était «éthiquement répréhensible».
Dans le cas de la femme du Premier ministre, Manos Limpias invoquait ce jeudi «des informations de presse» comme fondement des plaintes. «Si elles sont fausses, ce sera aux médias qui les ont diffusées de les assumer», s’est défendu Miguel Bernad. Qu’un juge accepte d’ouvrir une enquête sur la seule base de coupures de presse est pour le moins étrange. Et plus encore quand le plaignant est très loin d’avoir les «mains propres».