Les horreurs d’une guerre visibles depuis l’espace. Publiée lundi, une série d’images satellite remet en question les affirmations russes concernant le massacre de Boutcha (Ukraine). Accusé de crime de guerre et de crime contre l’humanité, la Russie soutenait jusqu’ici que les cadavres de civils retrouvés dans cette ville avaient été placés après le départ de ses troupes. C’était sans compter sur les images de Maxar Technologies, attestant de la présence de corps dans les rues… depuis la mi-mars. Et, depuis le début de la guerre, ce n’est pas la première fois que l’entreprise américaine, spécialisée en imagerie satellitaire, fait parler d’elle.
Dès le 28 février, ses clichés, illustrant l’avancée d’un immense convoi russe, permettaient à l’Ukraine d’anticiper la préparation d’un assaut massif sur Kyiv. Une dizaine de jours plus tard, une photo d’un théâtre bombardé à Marioupol, au pied duquel le mot «enfants» était écrit, indignait le monde. De même pour d’autres séries d’images, mettant en avant l’étendue des dégâts dans la ville portuaire ou à Kyiv.
Ukrainian civilians wrote the word "children" on the ground outside a drama theater in the besieged city of Mariupol where hundreds of civilians are hiding – pleading Russian pilots not to bomb.
— Jack Detsch (@JackDetsch) March 16, 2022
Russian forces ignored the pleas, bombing the theater earlier today.
📷:@Maxar pic.twitter.com/CgTYBUsHbu
«Ce n’est pas la première fois que des images prises à distance jouent un rôle dans un conflit, analyse Anne Puissant, professeure à l’université de Strasbourg en géographie et géomatique. La différence avec les images de Maxar, c’est qu’elles sont beaucoup plus médiatisées car plus accessibles au public, là où auparavant elles provenaient plutôt de satellites militaires et restaient secret-défense.»
La raison ? Maxar est une entreprise privée américaine, basée à Westminster (Colorado). Apparue en 2017, elle regroupe les activités de quatre filiales. Une spécialisée en construction de satellites : SSL. Une autre en analyse géospatiale 3D : Vricon. Radiant Solutions est quant à elle dédiée à la modélisation de données satellitaires. Et, enfin, DigitalGlobes, permet de produire des images satellite haute résolution. Cette dernière, pour la petite histoire, fait même partie des premières sociétés à avoir développé des satellites commerciaux à très haute résolution, comme Ikonos (2000) ou QuickBird (2001). Satellites qui, par la suite, ont alimenté les premières images de Google Earth ou Google Maps.
Maxar, plus fort que les nuages
Selon ses propres chiffres, l’entreprise compterait ainsi 90 satellites en orbite, scrutant la surface de la Terre avec, pour certains, une résolution de 30 centimètres. «Cela veut dire qu’un pixel des images produites représente 30 centimètres au sol», éclaire Anne Puissant. Pas de quoi identifier formellement des individus au sol, donc, mais suffisant pour trouver une utilité dans tout un panel de domaines. Comme l’environnement, en suivant l’évolution de certaines cultures ou celle de l’artificialisation des sols. L’urbanisme, en aidant à repérer l’emplacement de parkings par exemple. Cette technologie peut aussi être mobilisée pour documenter des catastrophes naturelles, comme lors de l’éruption survenue aux Tonga en janvier.
Ainsi, l’usage militaire ne représente qu’une partie de l’activité de Maxar. Mais une partie qui, avec la guerre en Ukraine, a pris de l’ampleur. «Ses images permettent d’observer l’état d’avancement des troupes, d’avoir une vision objective d’un territoire, de reconnaître le matériel utilisé…» énumère l’experte. Une capacité d’autant plus intéressante que l’entreprise aux 4 400 employés est en mesure de fournir des clichés de 3,8 millions de kilomètres carrés de territoire chaque jour. «Avant, on ne pouvait avoir des images d’un même territoire que tous les 15 ou 20 jours. Mais, maintenant, avec la multiplication du nombre de satellites en orbite depuis les années 2000, c’est quotidien», précise Anne Puissant.
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Et si vous vous posiez la question : oui, même en temps nuageux, la société peut fournir des images grâce à des satellites dits «radars». De quoi amener quelques éclaircies sur le cours de son action, en croissance rapide depuis le début du conflit ukrainien. Cotée au New York Stock Exchange, l’entreprise l’a vu rapidement progresser ces dernières semaines, passant de 24,50 dollars à la veille de l’invasion à 35,60 dollars, le 2 mars, soit un bond de 45% en une semaine. Aujourd’hui, il environne les 38 dollars, avec une capitalisation boursière établie à 2,84 milliards de dollars.
Les Etats-Unis en client principal
En plus d’industries, Maxar compte donc, parmi ses clients, une cinquantaine de gouvernements. Le principal ? Celui des Etats-Unis, qui déciderait même des zones à observer. D’où le temps passé par les satellites de l’entreprise au-dessus de l’Ukraine. En outre, selon le site de Maxar, elle fournirait «90% des renseignements géospatiaux de base utilisés par le gouvernement américain pour la sécurité nationale et pour assurer la sécurité des troupes sur le terrain». Et interviendrait, aussi, dans le domaine de la recherche spatiale… Comme au cours de la mission de Perseverance, le rover envoyé sur Mars par la Nasa.
Et même si Maxar figure parmi les sociétés les plus anciennes et puissantes du milieu, le gouvernement américain s’appuie également sur plusieurs de ses concurrentes. Comme Capella Space, start-up basée à San Francisco, qui fournit des données aux Etats-Unis et à l’Ukraine et parviendrait à annoncer certaines opérations militaires russes en avance. Ou Planet – plus de 200 satellites en orbite – qui produit notamment des comparaisons avant /après des frappes.