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Guerre

Mille jours après le début de l’invasion russe, la commission d’enquête sur l’Ukraine alerte toujours sur les tortures

Depuis le début du conflit, l’instance établie par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU recense les exactions perpétrées à l’encontre des civils.
Aujourd’hui, après presque trois ans, les constats de la commission d’enquête sont alarmants. Leurs investigations ont permis de démontrer un usage systémique de la torture par les autorités russes. (Paolo Pellegrin/Magnum Photo)
publié le 18 novembre 2024 à 7h45

Mille jours. C’est le temps qui s’est écoulé entre le début de l’offensive russe en Ukraine, le 24 février 2022, et ce mardi, le 19 novembre 2024. Dix jours après le début de l’offensive du Kremlin, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU établit une commission indépendante afin d’enquêter sur l’Ukraine. Son rôle ? Recenser les potentielles violations des droits humains et les crimes connexes commis dans ce contexte de guerre.

Aujourd’hui, près de trois ans après l’invasion russe, les constats de la commission sont alarmants. Dans son dernier rapport publié le 25 octobre 2024, en plus de nombreuses exactions, elle recense la mort d’au moins 11 743 civils. Pour établir ce bilan, trois commissaires bénévoles ont travaillé sans relâche : Erik Mose, Pablo de Greiff et Vrinda Grover. La dernière est une avocate indienne, membre de la Cour Suprême, reconnue pour son engagement contre les violences sexuelles. Ensemble, ils coordonnent un secrétariat basé à Vienne, en Autriche, qui mène des enquêtes pour recenser et alerter sur les différentes violations des droits humains. Les membres du secrétariat se sont rendus à de multiples reprises en Ukraine, pour rencontrer témoins et victimes. «Depuis 2022, nous avons interviewé plus de 800 personnes», souligne la juriste Vrinda Grover.

«La présence de violences sexuelles dans 41 centres de détention»

Dans un même temps, les informations sont recoupées avec les données des institutions judiciaires locales et internationales. Tous les éléments qui peuvent être collectés grâce à Internet sont également recensés. «C’est un conflit où il y a pléthore d’informations, la difficulté, c’est de s’assurer de leur véracité», explique Joël Mermet, coordinateur des enquêtes du secrétariat de la commission.

Leurs investigations ont permis de démontrer un usage systémique de la torture par les autorités russes. Ces supplices sont commis dans toutes les provinces d’Ukraine qui sont ou ont été sous le contrôle du Kremlin. Des atrocités qui prennent plusieurs formes, notamment celle de violences sexuelles à l’encontre de femmes, d’hommes et d’enfants. «Des preuves sur l’usage de ces abus dans le traitement des prisonniers de guerre, particulièrement à l’encontre des hommes, ont émergé de nos recherches», relate le coordinateur, avant d’ajouter avoir observé «la présence de violences sexuelles dans 41 centres de détention.»

Dans ces centres de détention, les hommes – la majorité des prisonniers – se retrouvent les principales victimes de ces atrocités. Leurs témoignages recensés par la commission sont d’une violence extrême. Une victime raconte avoir reçu des coups tandis qu’un soldat russe lui criait : «Nazi ! A quel point t’aime que je te donne des coups de pied dans les couilles ? Je te fais ça parce que vous avez castré nos garçons ! Tu devrais être reconnaissant que je ne fasse que te donner des coups de pied dans les couilles. Vous avez osé attaquer la Russie !» Au-delà des attaques directes dans les parties génitales, la commission dévoile que les troupes russes ont recours aux viols, à des tentatives de viols, à des castrations ou encore à des attaques électriques à la sortie des douches, pour torturer les prisonniers ukrainiens.

Pour Vrinda Grover, l’usage de ces atrocités constitue «un crime de guerre» et est fait pour humilier, intimider mais surtout pour soutirer des informations. Ces violences ont des conséquences psychologiques importantes : «Traumatismes, anxiété, perte de la mémoire, difficulté à s’intégrer dans la société et à se reconnecter à leur famille à la fin de la détention.» Cela fait environ trente ans que Joël Mermet enquête sur les zones de guerre. Il sait qu’il est courant que les violences sexuelles soient utilisées comme moyen de torture à l’encontre des civils. «Mais si je compare avec les conflits sur lesquels j’ai travaillé, je n’ai jamais été témoin d’une telle ampleur. La violence sexuelle est un élément caractéristique de ce conflit.»

La question des enfants déportés en Russie

La commission alerte inlassablement les organisations internationales et régionales. «Il y a des choses prises en considération, on s’en rend compte, mais est-ce que c’est grâce à notre travail ?» s’interroge Joël Mermet. Une question qui reste en suspens alors que de nombreux acteurs travaillent sur le terrain et recensent les exactions. «Par exemple, très récemment, sur la question des enfants déportés en Russie, la commission avait recommandé que la liste qui existe et qui les recense soit consolidée, et cela a été fait. L’Ukraine l’a reprise et a certifié les noms inscrits. Mais est-ce que c’est grâce à nous, ou à d’autres acteurs plus percutants ? C’est difficile à dire.»

Sur la question des violences sexuelles, les acteurs internationaux sont un peu démunis. «Les victimes parlent d’un besoin de justice et c’est un droit essentiel, rappelle Vrinda Grover. Ceux qui ont perpétré ces violences devraient être tenus responsables et punis. Des preuves, notamment vidéos, mettent en évidence ces violences, et on a écrit à ce propos à la Fédération russe, mais rien n’est fait et on n’a reçu aucune réponse.» La Russie, qui ne reconnaît toujours pas la commission, ne facilite pas les enquêtes et lui interdit toujours l’accès à certaines zones de son territoire.