Plusieurs manifestations d’une ampleur rare avaient surpris la Serbie en décembre. Des milliers de personnes étaient descendues dans la rue pour dénoncer le projet de mine de lithium de l’entreprise anglo-australienne Rio Tinto. Jeudi soir, la Première ministre serbe, Ana Brnabic, a annoncé à la télévision qu’elle avait entendu les revendications des manifestants avant d’annoncer le retrait du projet. Savo Manojlovic, l’une des principales figures de l’opposition à Rio Tinto, a salué la décision, mais a rappelé la seconde demande des associations écologistes : l’interdiction de l’exploitation du bore et du lithium pendant vingt ans. «Un pas de plus, nous sommes proches», s’est-il exclamé.
Les défenseurs de l’environnement craignaient que cette mine de lithium, située à l’ouest de la Serbie dans la vallée de Jadar, polluent ces terres fertiles. «Le processus d’extraction nécessite des milliers de tonnes d’acide sulfurique», pointe Bojana Novakovic, coordinatrice de l’ONG Mars sa Drine, engagée contre les mines de lithium en Serbie. Selon elle, le projet aurait détruit les rivières dont dépendent les nombreux agriculteurs dans la région ainsi que les habitants.
Rio Tinto a par ailleurs mauvaise presse dans de nombreux pays. En 2020, le groupe industriel a dynamité un site aborigène ancien en Australie, suscitant l’émoi et la démission de son patron. Un an plus tôt, une étude avait mis en lumière de hautes concentrations en plomb et uranium dans une rivière en aval d’une mine de Rio Tinto, à Madagascar, mettant en danger la santé des populations locales.
«Une décision politique» avant les élections d’avril
«Si l’entreprise a décidé d’investir ici, en Serbie, c’est aussi parce qu’elle sait qu’elle peut ne pas respecter la législation, moyennant corruption», dénonce Dejan Lekic, cofondateur de l’ONG NEA, qui rassemble des experts scientifiques sur les questions environnementales. Il prend pour exemple les mines de Bor, exploitées par des entreprises chinoises, qui sont l’un des sites les plus pollués du pays, selon les institutions publiques serbes elles-mêmes.
Les manifestations hebdomadaires ont débuté le 27 novembre. Plusieurs samedis de suite, les rassemblements ont bloqué les principaux axes routiers de dizaines de villes dont la capitale Belgrade. Rapidement, le sujet de la mine de Rio Tinto s’est invité dans la campagne en vue des élections législatives et présidentielles d’avril. Un large éventail d’associations écologistes s’est uni face à Rio Tinto pour dénoncer les atteintes répétées à l’environnement dans le pays. «Le gouvernement a reculé sous la pression populaire, il a eu peur des conséquences dans les urnes», s’enthousiasme Bojana Novakovic.
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Mais pour Dejan Lekic, l’affaire peut bénéficier aujourd’hui au gouvernement. «En annonçant la fin de Rio Tinto, la Première ministre sait qu’il n’y aura plus de manifestations. C’est une décision politique», explique-t-il. Bojana Novakovic confirme : le gouvernement souhaite avant tout faire sortir ce sujet de la campagne électorale et reprendre la main sur les débats. «Mais le retrait du projet de Rio Tinto n’est qu’une première étape. Nous réclamons le changement de la loi pour empêcher qu’une autre entreprise minière puisse venir remplacer Rio Tinto», poursuit-elle.
Le lithium, «or blanc» de l’Europe
Le cofondateur de l’ONG NEA demande une approche plus globale. «Dans tout le pays, il y a une quantité de problématiques environnementales incroyables, qui sont éclipsées par Rio Tinto», note-t-il. Dejan Lekic cite notamment la qualité de l’air, qui se dégrade chaque hiver dans les Balkans. «Tout cela est lié à l’absence d’Etat de droit et à la corruption endémique», s’énerve-t-il.
La construction de la mine de lithium s’accompagnait d’une certaine promesse de transition écologique de la part de Rio Tinto. En effet, c’est un composant essentiel à la construction de batteries électriques, dont la demande croît à toute allure. Le groupe anglo-australien espérait ainsi devenir le principal producteur de cet «or blanc» en Europe.
Interview
Dans les cortèges de l’automne en Serbie, les manifestants faisaient valoir qu’ils refusaient de payer de leurs terres la transition écologique des riches pays européens et leurs voitures électriques. «Nous ne voulons pas devenir une colonie minière», poursuit Bojana Novakovic. Pleine d’espoir, la jeune femme croit que ses concitoyens ont enfin trouvé une cause qui les unit : la défense des ressources naturelles.