C’était un verdict très attendu. Ridouan Taghi, l’un des cerveaux du cartel «Mocro Maffia» très actif en Europe du Nord, a été condamné à Amsterdam ce mardi 27 février à la prison à perpétuité. Le procès baptisé «Marengo», dont les deux premières sessions se sont tenues en février et mars 2020, aura attendu près de quatre ans pour aboutir. Les retards successifs du procès puis de son verdict sortent tout droit d’un roman de gangster : plusieurs proches du principal témoin, Nabil Bakkali, ont été tués pendant le procès, dont un journaliste d’investigation très connu aux Pays-Bas, Peter R. de Vries. Par ailleurs, Ridouan Taghi a compliqué le déroulé en étant très peu collaboratif en allant jusqu’à refuser de se présenter devant le juge.
La dangerosité de la Mocro Maffia a poussé la justice néerlandaise à multiplier les mesures de protection : l’identité des procureurs et des juges est restée secrète, et ceux-ci arrivaient au tribunal en voitures blindées. L’armée a même été mobilisée pour sécuriser le tribunal, baptisé «le Bunker», où a été donné le verdict.
Un témoin-clé menacé
Ridouan Taghi a été capturé en 2019 à Dubaï par la police émiratie, avant d’être extradé en direction des Pays-Bas où il a été emprisonné en vue de son jugement. Ce sont les révélations d’un de ses proches collaborateurs, Nabil Bakkali, qui ont permis son arrestation. Il avait été identifié comme tel par l’enquête, ouverte en 2017, qui avait analysé les conversations téléphoniques cryptées entre les deux hommes, permettant de rassembler de solides preuves contre le chef de la mafia néerlandaise. Et c’est ce qui a poussé Nabil Bakkali, ancien tueur à gages, à collaborer avec la police pour obtenir une réduction de peine – il sera finalement condamné à une peine de douze ans d’emprisonnement en juin 2019.
De fait, Nabil Bakkali devient le principal témoin dans le procès intenté contre Ridouan Taghi. Et il va le payer cher. Le chef de gang est fortement soupçonné d’avoir commandité le meurtre du frère de Nabil Bakkali en 2018, puis ceux de son avocat Derk Wiersum en 2019, et du journaliste Peter R. de Vries – à qui le témoin-clé faisait ses confidences –, le tout depuis sa prison de haute sécurité.
Ridouan Taghi est né dans la province de Chefchaouen au Maroc en 1977. Sa famille émigre à Vianen alors qu’il n’a que 3 ans, dans la banlieue d’Utrecht aux Pays-Bas. Il entre dans le trafic de drogue par le cannabis en assurant le transport de la marchandise, des fournisseurs marocains en passant par l’Espagne pour arriver sur le marché néerlandais. Il gravit les échelons à toute vitesse et s’enrichit rapidement. Taghi, très ambitieux, cherche à atteindre les sommets de la pègre et à agrandir son réseau. Il investit dans de puissants moteurs de hors-bords et optimise les trajets depuis le Maroc par la mer, ce qui lui permet d’acheminer la drogue vers l’Europe dans de meilleurs délais. En plus des commandes qu’il réalise pour des chefs néerlandais, Taghi commence à importer sa propre marchandise. Et finit par quitter l’organisation centrale pour créer sa propre filiale avec ses lieutenants les plus proches, dont son bras droit, Saïd Razzouki, également mis en cause dans le procès Marengo.
Au début des années 2000, la Mocro Mafia, ainsi surnommée du fait de l’origine marocaine de bon nombre de ses membres, s’oriente vers le trafic de cocaïne. A cette époque, les cartels d’Amérique du Sud cherchent à éviter les contrôles qui se multiplient dans le nord de l’océan Atlantique. Ils décident donc de passer leurs marchandises par l’Afrique. Taghi, alors installé au Maroc, va prendre en charge le transport de la drogue vers l’Europe.
«Celui qui parle, meurt»
Il entoure ses activités mafieuses du slogan «wie praat, die gaat» qui signifie en français, «celui qui parle, meurt». Signe que la violence est inhérente au personnage : Taghi menace, attaque et tue pour garantir la pérennité de son organisation. Avant les proches de Nabil Bakkali, d’autres en ont fait les frais. Comme Martin Kock, ancien mafieux reconverti en blogueur qui a payé cher d’avoir révélé publiquement l’identité de Taghi. Après avoir échappé de justesse à deux attentats, il sera finalement assassiné le 8 décembre 2016, en sortant d’une maison close de Laren, dans le sud-est des Pays-Bas.
La politique de la terreur orchestrée par la Moccro Mafia touche aussi les journaux néerlandais, qui mettent parfois le nez dans les affaires morbides de l’organisation. En juin 2018, la rédaction du quotidien de Telegraaf est ciblée par une attaque au camion bélier. Le véhicule explose à l’entrée du bâtiment en pleine nuit, faisant d’importants dégâts mais aucun blessé. Quelques jours plus tôt, un attentat au lance-roquettes avait été déjoué chez leurs confrères de Panorama.
La condamnation à perpétuité du chef de la mafia est une victoire dans la lutte anticartel néerlandaise. Mais les ramifications et cellules multiples de l’organisation restent très actives aux Pays-Bas et présagent d’un futur ombragé pour la «Colombie européenne».