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Charles III, nouveau roi qui n’a rien d’une page blanche

A 73 ans, le fils aîné d’Elizabeth II hérite de la couronne à un âge avancé. Sa personnalité, plus ouverte et plus engagée, pourrait redéfinir la monarchie britannique.
Charles III, nouveau roi d'Angleterre, à Cumnock, en Ecosse, le 7 septembre 2022. (Jane Barlow/AFP)
publié le 8 septembre 2022 à 19h50
(mis à jour le 5 mai 2023 à 10h29)

Il est roi. Depuis la seconde précise où la reine Elizabeth II, sa mère, est morte. Il est roi et un vertige l’a peut-être saisi alors qu’il réalisait que cette charge, dont l’ombre l’a accompagné toute sa vie, depuis l’heure de sa naissance, lui incombe enfin. Il est le roi Charles III et, bientôt, toutes les cérémonies auxquelles il assistera commenceront et s’achèveront avec un hymne à son honneur : God Save The King.

Il est roi, mais, à 73 ans, il est déjà âgé. Son règne sera court, forcément. Au contraire de sa mère arrivée sur le trône à 25 ans et qui aura régné soixante-dix ans. Toute une vie. Charles aura, lui, passé la majeure partie de son existence à se préparer pour ce rôle, celui de l’incarnation de la monarchie britannique. Lorsqu’elle monta sur le trône, en 1952, Elizabeth II était une page blanche. Une toute jeune femme de 25 ans, dont le public connaissait le visage et à peine la voix, mais pas beaucoup plus. Cette discrétion, ou plutôt cette réserve, seront la marque de son règne. Jusqu’au dernier jour, on n’aura su très peu de ses goûts et dégoûts, de ses opinions et intérêts (à part sa passion pour les chevaux et les corgis).

Le nouveau roi n’est pas une page blanche. Depuis le berceau, il est sous les regards des caméras. Mais surtout, contrairement à sa mère, l’homme a souvent parlé. Beaucoup et depuis longtemps. Il n’a même jamais hésité à mettre les pieds dans le plat quand un sujet lui tenait à cœur. Que ce soit l’architecture d’un nouveau bâtiment qu’il jugeait immonde ou le réchauffement climatique qui le désolait il y a déjà vingt ans et contre lequel il se mobilise depuis longtemps. En 2015, après dix années d’une bataille acharnée entre le gouvernement – qui invoquait la vie privée du futur monarque – et le quotidien The Guardian, qui jugeait ces lettres d’intérêt public, la justice avait ordonné la publication de vingt-sept lettres, écrites par le prince de Galles entre septembre 2004 et avril 2005 à sept ministères du gouvernement de Tony Blair. Ces vingt-sept lettres, dans lesquelles il exprimait vigoureusement ses opinions sur tel ou tel sujet, ne constituaient qu’une fraction d’un trésor de plus d’un millier de ces missives envoyées pendant trente ans.

Mariage arrangé et désastreux

Ces courriers avaient un surnom sinistre : les «blackspider memos» (les notes de l’araignée noire), une référence à son écriture en pattes de mouche, à l’encre noire qu’il utilisait systématiquement et à la manie qu’il avait de saturer ses lettres de ratures et de points d’exclamation dans la marge. Au fil des années, quelques-unes seulement ont fuité. La plus ancienne, et la plus connue, date de 1969. Le prince, visionnaire, s’inquiétait auprès du Premier ministre travailliste de l’époque, Harold Wilson, des excès de la pêche intensive du saumon dans l’Atlantique Nord.

De Charles, on sait donc beaucoup. Et pas seulement à cause de ces lettres. On sait qu’il se désespère du gaspillage et de la destruction de la planète, qu’il est un ardent défenseur de l’agriculture biologique – qu’il a adoptée et développée sur ses terres et dont il vend les produits estampillés «Duchy Originals» dans les supermarchés Waitrose (les profits sont reversés à des organisations caritatives qu’il patronne). On sait qu’il aime à la folie les jardins, qu’il déteste l’architecture trop futuriste et moderniste – qu’il accuse de défigurer nos villes –, qu’il croit en l’homéopathie et surtout qu’après un mariage arrangé et désastreux avec la défunte princesse Diana, il semble heureux et apaisé avec son épouse Camilla, son amour de jeunesse. On sait aussi qu’il est passionné par l’éducation et que l’organisation caritative qu’il a fondée en 1976, The Prince’s Trust, contribue à éduquer des milliers de jeunes défavorisés et à aider ceux-ci à créer des entreprises ou à développer des projets commerciaux. Même si, parfois, il semble avoir été peu regardant sur les généreux donateurs qui lui apportaient des millions en cash dans des valises.

«Danseur très charismatique, très viril»

On sait même, grâce aux confidences de l’exubérante actrice Emma Thompson, une de ses proches, qu’il est un merveilleux danseur. «Il est un extraordinaire, extraordinaire danseur. Il est le meilleur danseur. Pas un danseur de disco. Un vrai danseur. Je n’ai jamais dansé avec quelqu’un qui puisse me conduire d’une manière telle que je puisse me détendre et me laisser aller, c’est merveilleux, meilleur que le sexe. C’est un danseur très charismatique, très viril», a-t-elle ainsi confié à Catherine Mayer, autrice d’une biographie du roi, Charles, The Heart of a King («le cœur d’un roi»).

Charles a souvent dit qu’il souhaitait être «un roi qui agit». Même si son statut constitutionnel, purement représentatif, lui interdit d’intervenir dans la vie politique du royaume. Il fut un prince honni à une époque, à la fin du siècle dernier, alors qu’il trompait ouvertement son épouse Diana et murmurait à l’oreille de sa maîtresse Camilla – finalement devenue son épouse et aujourd’hui sa reine – qu’il rêverait de se transformer en l’un de ses Tampax – des dialogues volés et imprimés par les quotidiens populaires. Beaucoup souhaitaient alors un saut de génération, un couronnement de William, son fils aîné.

Mais le temps a passé, la formidable machine à communiquer (et parfois à broyer) de la maison royale a œuvré et Charles a retrouvé les faveurs de l’opinion britannique. Même s’il ne suscitera jamais la même ferveur que sa mère. Sa vie dessine les contours d’un autre type de souverain, peut-être plus ouvert, plus intime, plus moderne. Un souverain qui refuserait de se taire juste parce qu’il a hérité d’une position par un accident de naissance. Au risque de bousculer une institution ancestrale, au risque aussi de la fragiliser, de l’ouvrir beaucoup plus aux critiques, y compris sur son bien-fondé, sa raison d’être au XXIe siècle.

A moins que, le front désormais ceint de la couronne royale, le roi Charles ne décide finalement d’imiter sa mère et choisisse de se taire.

Mise à jour le 5 mai 2023 : article republié à l’occasion du couronnement de Charles III le 6 mai 2023.