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Nationalité, itinéraire, torture : ce que l’on sait des suspects de l’attaque de Moscou

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Trois jours après l’attaque contre une salle de concert du nord-ouest de Moscou, qui a fait au moins 139 morts, de nombreuses questions restent en suspens, notamment sur l’identité et les motivations des quatre principaux suspects.
Capture d'une vidéo de l'attaque du Crocus City Hall à Krasnogorsk, vendredi soir. (AFP)
publié le 23 mars 2024 à 20h59
(mis à jour le 26 mars 2024 à 12h55)

Les quatre principaux assaillants présumés de l’attaque meurtrière survenue vendredi 22 mars dans une salle de concert de Krasnogorsk, en banlieue de Moscou, sont actuellement détenus dans la région de Briansk, en Russie, une zone frontalière de l’Ukraine et du Bélarus. Lundi 25 mars, trois autres suspects ont été placés en détention provisoire et encourent la prison à perpétuité, selon l’agence d’Etat Ria Novosti. Ce mardi 26 mars, une huitième personne a elle aussi été placée en détention.

D’après les autorités, ce huitième suspect est originaire du Kirghizstan, un pays d’Asie centrale. Au total, les autorités ont annoncé avoir arrêté 11 personnes. Libération fait le point sur ce que l’on sait de ces suspects.

Quelle est la nationalité des quatre principaux suspects ?

Les quatre suspects de l’assaut qui a fait plus de 130 morts ont été identifiés lors d’une audience du tribunal de Moscou dans la nuit de dimanche à lundi. Selon l’agence de presse officielle russe Tass, il s’agit de Dalerdzhon Mirzoyev, Saidakrami Rachabalizodu, Shamsidin Fariduni et Muhammadsobir Fayzov. Dans un communiqué cité par l’AFP, le ministère de l’Intérieur russe a affirmé que ces quatre individus étaient «tous des ressortissants étrangers». Leur nationalité exacte n’a pas été clairement mentionnée.

L’agence de presse russe Ria Novosti a rapporté que l’un des suspects était un ancien employé d’un coiffeur à Ivanovo, une ville au nord-est de la capitale. Il a 19 ans, est célibataire, sans enfant et sans condamnation antérieure. Un autre a un enfant de huit mois et travaillait dans une fabrique de parquet à Podolsk, dans la région de Moscou. Selon le tribunal de Moscou, Dalerdzhon Mirzoyev est natif du Tadjikistan, une ex-république soviétique d’Asie centrale voisine de l’Afghanistan où le groupe Etat Islamique est actif. Selon le média d’investigation Mediazona, Saidakrami Rachabalizodu a lui aussi été présenté comme parlant tadjik.

Au total, trois des suspects ont déclaré à la cour qu’ils étaient originaires du Tadjikistan. Une copie du passeport du quatrième individu, qui a fait l’objet d’une fuite, semble indiquer qu’il est également citoyen du Tadjikistan, rapporte le New York Times. De son côté, le ministère tadjik des Affaires étrangères nie l’implication de ses citoyens dans l’attentat, rapporte la BBC.

Par quels pays avaient-ils transité ?

Deux des suspects arrêtés, de nationalité tadjike, ont voyagé librement entre la Russie et la Turquie, qu’ils ont quittée ensemble par avion le 2 mars pour retourner en Russie, a renseigné une source sécuritaire turque à l’AFP ce mardi 26 mars. Les autorités ont établi qu’il s’agissait de Shamsidin Fariduni, entré en Turquie le 20 février et reparti en Russie le 2 mars depuis l’aéroport d’Istanbul après un séjour dans un hôtel de la mégapole, a continué la même source. L’autre suspect, selon ce responsable, est Saidakram Rajabalizoda : arrivé à Istanbul le 5 janvier, il est aussitôt descendu dans un hôtel de Fatih qu’il a quitté le 21 janvier.

Où cherchaient-ils à fuir après l’attaque ?

Selon la chaîne publique russe Pervy Kanal, ces hommes ont été arrêtés sur la route dans le village de Khatsoune, dans la région de Briansk, non loin des frontières ukrainienne et bélarusse. D’après Vladimir Poutine et les services spéciaux du pays (FSB), ces hommes se rendaient en Ukraine où ils disposaient de contacts devant les aider à passer la frontière. «Une fenêtre leur avait été préparée pour traverser», a assené le président russe. Et cela malgré le déploiement des forces russes et ukrainiennes dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Sur Telegram, le député russe Alexander Khinshtein a expliqué que les suspects se sont enfuis à bord d’un véhicule Renault. Ils auraient été repérés par la police dans la région de Briansk, en possession de passeports tadjiks, d’un pistolet et d’un chargeur pour fusil d’assaut.

L’Ukraine «n’a absolument rien à voir» avec l’attaque, a de son côté déclaré un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhailo Podoliak. Avant d’ajouter : «L’Ukraine n’a pas le moindre lien avec l’incident».

Le dirigeant de la Tchétchénie, république du Caucase russe, Ramzan Kadyrov, a lui indiqué que des soldats tchétchènes, déployés depuis des mois dans la région de Briansk pour sécuriser la frontière avec l’Ukraine, ont participé à l’arrestation des suspects. Le Bélarus, pays allié de Moscou, a aussi annoncé avoir pris part aux opérations afin d’empêcher les assaillants de «sortir (du territoire russe) par la frontière commune». Pour l’heure, les autorités russes n’ont pas mentionné officiellement cette possibilité que les suspects aient cherché à fuir par le Bélarus.

Qu’ont-ils dit en interrogatoire ?

Ce samedi 23 mars, en début de soirée, la chaîne publique russe Pervy Kanal a montré des images sur lesquelles on peut voir les suspects en train d’être emmenés par des membres des forces de l’ordre et subir un premier interrogatoire.

Sur ces images, deux des suspects admettent leur culpabilité. Le service de presse du tribunal de district de Basmanny a renseigné que les deux premiers accusés, Dalerdzhon Mirzoyev et Saidakrami Rachabalizodu, avaient plaidé coupable. L’un d’entre eux dit avoir agi pour de l’argent, en évoquant la somme d’un demi-million de roubles (5 000 euros). Il dit avoir été contacté par Telegram pour ce faire, sans révéler l’identité du ou des commanditaires.

Les suspects ont-ils été torturés ?

Sur les images diffusées par Pervy Kanal, trois des suspects apparaissent avec du sang sur le visage. Lors de l’audience des suspects au tribunal ce dimanche 24 mars partagée par la chaîne russe, l’un d’eux avait un bandage blanc à l’oreille et un autre est arrivé dans une chaise roulante, les yeux fermés.

La chaîne publique russe n’a toutefois pas mentionné une autre vidéo diffusée plus tôt ce samedi sur Telegram et X, dont l’authenticité n’a pu être vérifiée. On y voit ce qui semble être le même homme maintenu au sol, le visage ensanglanté. Un morceau de son oreille droite lui est coupé. Quelques instants plus tard, une personne se trouvant hors cadre tente ensuite de lui mettre de force le morceau d’oreille sanguinolent dans la bouche avant de lui asséner un puissant coup de poing contre le visage.

Dmitri Peskov n’a pas voulu commenter les allégations de torture des suspects. «Je laisserai cette question sans réponse», a avancé le porte-parole du président russe, interrogé par des journalistes.

Comment la Russie a-t-elle réagi à l’attaque ?

Après l’annonce de l’attentat, Vladimir Poutine et ses puissants services de sécurité, le FSB, n’avaient pas mentionné d’implication jihadiste. Ils évoquaient de concert une piste ukrainienne sans avancer de preuves. Et ce malgré la revendication directe de Daesh via un message publié vendredi soir sur une boucle Telegram, précisant que l’attaque avait été menée «par quatre combattants de l’EI armés de mitrailleuses, d’un pistolet, de couteaux et de bombes incendiaires».

Ce lundi 25 mars, le Kremlin a de nouveau refusé de commenter la revendication par le groupe jihadiste État islamique (EI) de l’attaque, arguant que l’enquête était toujours en cours.

Vladimir Poutine a, le même jour, admis pour la première fois que le plus meurtrier attentat commis par l’EI sur le sol européen avait été mené par «des islamistes radicaux ayant une idéologie contre laquelle le monde islamique se bat lui-même depuis des siècles». Mais le président russe a conservé son cap sur l’implication de l’Ukraine : «Les Etats-Unis […] essayent de convaincre leurs satellites qu’il n’y a trace de Kiev dans cet acte de terrorisme et que des membres de l’EI ont perpétré ces attaques. Nous savons qui a commis cette atrocité contre la Russie et son peuple. Ce qui nous intéresse, c’est le commanditaire». Il a ensuite répété que les assaillants avaient tenté de fuir vers le territoire ukrainien avant d’être arrêtés.

«Bien sûr que c’est l’Ukraine», a soutenu le puissant secrétaire du Conseil de Sécurité russe à des médias ce mardi 26 mars, répondant à la question de savoir si Kiev ou l’EI avait orchestré l’attaque. L’Ukraine a farouchement nié avoir le moindre lien avec l’incident. «Poutine se parle à nouveau à lui-même. Et à nouveau, il accuse l’Ukraine. C’est une créature malade et cynique», a réagi le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans son discours du soir quotidien. Les Etats-Unis ont également rejeté la version du président russe.

Mis à jour mardi 26 mars à 13 heures avec le placement en détention d’un huitième suspect et davantage de détails.