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Verbatim

«Nous devons vaincre ce régime fou» : la veuve d’Alexeï Navalny appelle à poursuivre le combat contre Poutine

Trois jours après la mort en prison de son mari, principal opposant au Kremlin, Ioulia Navalnaïa a promis lundi de continuer la lutte et exhorté ses partisans à la rejoindre.

Alexeï Navalny et sa femme Ioulia Navalnaïa, lors d'une audience judiciaire à Moscou, le 23 avril 2015. (Tatyana Makeyeva/Reuters)
Publié le 19/02/2024 à 15h20

La vidéo a été publiée lundi en fin de matinée sur les réseaux sociaux, quelques heures avant sa rencontre avec les ministres européens des Affaires étrangères. Pendant près de neuf minutes, la voix parfois serrée par l’émotion, Ioulia Navalnaïa est revenue sur le parcours de son mari Alexeï, mort vendredi dans une prison de l’Arctique, à 47 ans. «Vladimir Poutine a tué mon mari», a asséné sa veuve, exhortant le peuple russe à se mobiliser pour une Russie «pleine de dignité, de justice et d’amour». Une Russie enfin débarrassée du «régime fou» de Vladimir Poutine. Voici le verbatim, traduit en français, de cette vidéo.

«Bonjour, c’est Ioulia Navalnaïa.

«Aujourd’hui, je voudrais vous parler pour la première fois sur cette chaîne. Je n’aurais pas dû me trouver à cet endroit. Je n’aurais pas dû enregistrer cette vidéo. Il y aurait dû y avoir une autre personne à ma place. Mais cette personne a été tuée par Vladimir Poutine.

«Il y a trois jours, Vladimir Poutine a tué mon mari, Alexeï Navalny. Poutine a tué le père de mes enfants. Poutine m’a enlevé ce que j’avais de plus précieux, la personne dont j’étais la plus proche et que j’aimais le plus.

«Mais Poutine vous a aussi enlevé Navalny. Quelque part dans une colonie du Grand Nord, au-dessus du cercle polaire, dans l’hiver éternel, Poutine n’a pas seulement tué l’homme appelé Alexeï Navalny, il a également voulu tuer nos espoirs, notre liberté et notre avenir.

«Il voulait détruire et effacer la meilleure preuve que la Russie peut être différente. Que nous sommes forts, que nous sommes courageux, que nous croyons et que nous nous battons désespérément. Et que nous voulons vivre différemment. Et ensemble, nous ferons de notre pays la belle Russie de demain.

«Pendant toutes ces années, j’ai toujours été aux côtés d’Alexeï. Elections, rassemblements, assignations à résidence, perquisitions, détentions, prison, empoisonnement, nouveaux rassemblements, nouvelles arrestations et nouvelle prison. Voici notre dernière rencontre avec lui à la mi-février 2022, et voici notre dernière photo. Exactement deux ans plus tard, Poutine le tuera.

«Toutes ces années, j’étais aux côtés d’Alexeï, j’étais heureuse d’être aux côtés d’Alexeï et de le soutenir. Mais aujourd’hui, je veux être à vos côtés. Parce que je sais que vous avez perdu autant que moi.

«Alexeï est mort en prison après avoir été torturé et tourmenté pendant trois ans. Il n’a pas seulement été emprisonné, pas emprisonné comme d’autres le sont, il a été torturé. Il était détenu dans une cellule disciplinaire, dans une boîte en béton, imaginez un peu. C’est une pièce de six ou sept mètres carrés, avec rien d’autre qu’un tabouret, un évier, un trou dans le sol à la place des toilettes et un lit attaché au mur pour qu’on ne puisse pas s’y allonger.

«Une tasse, un livre et une brosse à dents, c’est tout ce qu’il avait. Des centaines de jours. Il a été victime de brimades, coupé du monde, et on ne lui a pas donné de stylo ni de papier pour écrire une lettre à moi ou à nos enfants. Il était affamé. Il est resté affamé pendant trois ans. Et non seulement il n’a pas abandonné, mais il nous a encouragés pendant tout ce temps. Il nous a encouragés. Il a ri. Il a fait des blagues. Il nous a encouragés. Il n’a jamais remis en question, une seule seconde, ce pour quoi il se battait ou souffrait.

«Mon mari ne pouvait pas être brisé. Et c’est exactement pour cela que Poutine l’a tué. Honteusement, lâchement, sans jamais le regarder dans les yeux ni même mentionner son nom. Et tout aussi honteusement et lâchement, ils cachent maintenant son corps, ne le montrent pas à sa famille, ne le lui donnent pas, mais ils mentent et attendent pitoyablement que les traces d’un autre Novitchok de Poutine disparaissent.

«Nous savons exactement pourquoi Poutine a tué Alexeï il y a trois jours. Nous vous le dirons bientôt. Nous allons certainement découvrir qui, précisément, a commis ce crime et comment. Nous vous dirons leurs noms et nous vous montrerons leurs visages.

«Mais la chose la plus importante que nous puissions faire (pour Alexeï et pour nous-mêmes) est de continuer à nous battre. Plus durement, plus désespérément et plus férocement qu’auparavant.

«Je sais qu’il semble impossible de faire plus, mais nous devons faire plus. Nous devons tous nous unir et vaincre ce régime fou. Nous devons nous unir pour frapper d’un seul coup Poutine, ses amis, les voyous en épaulettes, les courtisans et les tueurs qui veulent paralyser notre pays.

«Je sais et je ressens à quel point vous voulez savoir pourquoi il est revenu en Russie. Pourquoi se mettrait-il volontairement entre les mains de ceux qui avaient failli le tuer ? Pourquoi se sacrifierait-il ainsi ?

«Après tout, il aurait pu vivre une vie normale avec sa famille, sans parler, sans enquêter, sans parler et sans se battre. Mais il ne pouvait pas faire cela. Alexeï aimait la Russie plus que tout au monde. Il aimait notre pays, il vous aimait. Il croyait en nous, en notre force, en notre avenir et au fait que nous méritons ce qu’il y a de mieux.

«Non seulement avec des mots, mais aussi avec des actes. Il y croyait si profondément et si sincèrement qu’il était prêt à donner sa vie pour cela. Et son grand amour nous suffit pour poursuivre son œuvre. Aussi longtemps qu’il le faudra. Nous travaillerons avec acharnement et courage comme l’a fait Alexeï.

«Je n’ai pas d’autre pays. Je n’ai nulle part où me retirer. Il n’y a pas d’autre pays, pas d’autre Moscou, pas d’autre famille, pas d’autres personnes que vous.

«Tout le monde réfléchit en ce moment : où allons-nous trouver la force, comment allons-nous continuer à vivre ? Nous puiserons notre force en lui. Dans sa mémoire, dans ses idées, dans ses pensées, dans sa confiance inépuisable en nous. Personnellement, j’y puiserai ma force.

«En tuant Alexeï, Poutine a tué une moitié de moi, une moitié de mon cœur et une moitié de mon âme. Mais il me reste l’autre moitié. Et elle me dit que je n’ai pas le droit d’abandonner.

«Ne restez pas silencieux, continuez à vous battre, allez aux rassemblements. Personne ne nous protégera si ce n’est nous. Nous sommes nombreux, et si nous voulons réaliser quelque chose, nous le ferons.

«Je poursuivrai l’œuvre d’Alexeï Navalny. Je continuerai à me battre pour notre pays, avec vous. Et je vous appelle tous à vous tenir près de moi.

«Ne vous contentez pas de partager le chagrin et la douleur infinie qui nous ont enveloppés et qui ne nous lâcheront pas. Je vous demande de partager cette colère avec moi. La colère, la rage, la haine de ceux qui ont osé détruire notre avenir.

«Je m’adresse à vous avec les mots d’Alexeï, auxquels je crois fermement. Il n’est pas honteux de faire peu, il est honteux de ne rien faire. Il est honteux de se laisser intimider. Nous devons saisir toutes les occasions : lutter contre la guerre, contre la corruption, contre l’injustice. Lutter pour des élections équitables et la liberté d’expression, lutter pour reprendre notre pays.

«Je sais pourquoi je me bats. Je me bats pour le nouvel avenir de ma famille et de mes enfants. La Russie, la Russie libre, pacifique, heureuse et belle de l’avenir, dont mon mari rêvait. C’est ce dont nous avons besoin. Je veux vivre dans une telle Russie, et je veux que nos enfants vivent dans une telle Russie.

«Je veux la construire avec vous. Exactement comme Alexeï Navalny l’a imaginée. Pleine de dignité, de justice et d’amour. Il n’y a pas d’autre voie. Le sacrifice impensable qu’il a consenti ne peut être vain. Continuez à vous battre et n’abandonnez pas. Je n’ai pas peur et je vous invite à n’avoir peur de rien non plus.

«Tout ce qu’il faut pour que le mal triomphe, c’est l’inaction des bonnes personnes. L’inaction n’a donc pas lieu d’être.»