Lundi 28 avril, fin de matinée. Dans la péninsule ibérique, les feux de signalisation s’éteignent. Les ascenseurs ne montent plus. Au Portugal voisin aussi, au même moment, le courant est débranché. Le réseau téléphonique fait défaut. Une situation qui a de quoi provoquer un immense désordre et de profondes inquiétudes, jusqu’en milieu de soirée. Ce mardi matin, le gestionnaire du réseau espagnol REE a annoncé que 99 % de l’approvisionnement électrique national avait été rétabli dans le pays. Au Portugal, le réseau électrique est également «parfaitement stabilisé» après cette panne massive, dont l’origine demeure inconnue. Un tel incident pourrait-il arriver en France ? Clotilde Levillain, membre du directoire du gestionnaire du réseau de transport d’électricité français RTE, rappelle que ce phénomène est «rarissime».
Est-ce qu’une telle panne généralisée pourrait se produire en France ?
Tout d’abord, il est primordial de rappeler que le black-out qui a eu lieu hier en Espagne et au Portugal est un phénomène rarissime. Très très rare. Dans des circonstances très exceptionnelles et pour les mêmes causes, cela pourrait arriver en France. Mais chaque incident est unique, il faut encore attendre les analyses fines des données de cette panne électrique et la séquence des événements tels qui se sont produits pour en tirer un bilan. Car pour le moment, en l’absence d’explications sur la ou les raisons de la panne, rien ne dit que les mesures de protection et de prévention dont nous disposons actuellement n’auraient pas été suffisantes.
Quels sont les précédents en France ?
En France, des black-out partiels se sont produits en 1978 et 1987 et ont touché une partie du territoire. En 1978 d’abord, le phénomène était parti de l’est de la France et était le résultat de très forts courants électriques qui traversaient la France et l’Allemagne. L’autre black-out partiel qu’a connu notre pays en 1987 était lié à une tout autre raison. Car localement, dans l’ouest de la France, nous avions enregistré une très forte consommation et des groupes de production électrique s’étaient alors déconnectés. On avait dû à faire face à un déséquilibre ponctuel qui s’était traduit par une chute de la tension. L’incident s’était ensuite répandu jusque dans la région parisienne. Le rétablissement avait été rapide. Ces deux black-out se sont déroulés il y a plus de 40 ans, ce qui démontre encore une fois qu’ils restent très rares. Chaque incident de ce type renforce nos dispositifs de surveillance.
Quels sont justement les protocoles mis en place pour éviter un black-out ?
RTE fonctionne en trois temps. D’abord, on anticipe : on établit des protocoles pour être capable de surveiller et de monitorer le système électrique en temps réel et de façon prévisionnelle. Notre objectif est d’être capable d’identifier des moments critiques, le tout en gérant en permanence trois paramètres physiques : la fréquence - 50 Hertz en permanence -, le courant et la tension. Le réseau doit toujours rester à l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité.
Ensuite, en cas d’incident, notre rôle consiste à limiter son ampleur, donc à circonscrire le périmètre géographique touché pour éviter sa propagation. C’est-à-dire que la zone touchée est immédiatement isolée pour éviter une généralisation. Ainsi, nous avons établi des «barrières de défense» à appliquer en temps réel pour stabiliser le réseau et rétablir l’équilibre des paramètres. Ces procédures sont par ailleurs communes avec le reste de l’Union européenne. Il peut s’agir de faire des opérations de délestages, de recourir à des importations de pays voisins, ou encore de recourir à des augmentations de production. Dans cette partie «barrière de défense», nous avons également des actions automatiques qui peuvent se déclencher lorsque le phénomène est extrêmement rapide, de l’ordre de la seconde. Ces automatismes permettent de couper la consommation lorsqu’il y a un déficit de production locale ou d’isoler et de débrancher une ligne électrique surchargée pour éviter que l’incident ne se propage.
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Enfin, si malgré toutes ces mesures de prévention, un black-out survient, comme ça a été le cas en Espagne et au Portugal hier, le troisième temps consiste à agir pour rétablir le système électrique et réalimenter la consommation en redémarrant de la production par le réseau. La démarche est progressive, en partant des zones stabilisées, le Pays basque et la Catalogne dans cet exemple. Hier, la France a ainsi fait transiter de la puissance électrique à l’Espagne pour qu’elle puisse reconstituer son système électrique, quelques heures après qu’elle a été déconnectée de manière temporaire du réseau européen pour éviter une propagation.
Tous ces protocoles sont en place depuis plus de 20 ans.
Le réseau électrique européen fonctionne-t-il de la même manière dans tous les pays ?
Au quotidien, tous les gestionnaires européens d’électricité sont amenés à surveiller trois paramètres physiques - la tension, le courant et la fréquence. Cette gestion est en réalité régie par des règles communes qui sont appliquées par l’ensemble des gestionnaires de réseaux de transport européens depuis des décennies, que ça soit pour la vie courante, c’est-à-dire pour le fonctionnement normal d’un système électrique, ou pour les phases de gestion d’incidents plus ou moins prononcés. Ces différentes règles sont appelées «codes de réseaux», et ont force de réglementation européenne. Elles permettent d’établir des «barrières de défense» homogènes entre tous les pays. L’Espagne a donc les mêmes mesures de protection que la France.