L’Allemagne, lanterne rouge de l’économie européenne ? On se croirait revenu dans les années 90, après la réunification. L’Allemagne affiche en effet l’une des plus piètres performances au second trimestre de la zone euro. Alors que les autres pays résistent encore étonnamment bien à la crise énergétique avec une croissance plus forte que prévu au deuxième trimestre (+0,7% en moyenne), la première économie d’Europe s’est mise à stagner. «L’Allemagne est au bord de la récession», a prévenu Clemens Fuest, le président de l’Institut de conjoncture de Munich (Ifo). Les raisons de ce ralentissement conjoncturel s’expliquent surtout par la hausse des prix de l’énergie, due à la guerre en Ukraine, qui ont eu un effet domino sur toute l’économie. La demande intérieure – l’un des piliers de la croissance – continue de reculer.
Sacrifices sur l’alimentaire
Affolés par une inflation record (plus de 7%), les Allemands font des économies là où ils peuvent. Les avertissements du gouvernement sur une répercussion imminente de la hausse des prix du gaz sur leur facture – qui pourrait tripler en octobre – ont changé leurs habitudes de consommation. Ils font notamment des sacrifices sur l’alimentaire et les produits d’entretien, selon un rapport de l’Institut de recherche sur la consommation de Nuremberg.
Au sein des entreprises, l’ambiance est morose. Le climat des affaires, mesuré chaque mois par l’Ifo auprès de 9 000 entreprises, est tombé en juillet au plus bas niveau depuis deux ans. «L’économie mondiale reste affaiblie par la pandémie de Covid-19 qui perturbe les chaînes d’approvisionnement», analyse l’Office fédéral des statistiques. Pour la première fois depuis la réunification, la balance commerciale a été négative en mai (900 milliards d’euros). Un choc pour une nation exportatrice qui enregistrait en moyenne dix milliards d’excédents par mois depuis plus de vingt ans. Selon la Fédération des chambres de commerce et d’industrie, une entreprise sur six a déjà réagi à la crise énergétique en réduisant sa production. Une situation qui inquiète évidemment les autres pays de la zone euro, toujours très dépendants de la conjoncture allemande. Personne n’a oublié ce proverbe, très utilisé dans les années 90, après la réunification : «Lorsque l’Allemagne tousse, c’est toute l’Europe qui s’enrhume.»
Remise en cause du modèle
Le gouvernement espère néanmoins finir l’année avec une croissance de plus de 2%. Mais le chancelier Olaf Scholz sait qu’il reste pieds et poings liés par la situation géopolitique. La récession dépendra de la bonne volonté de Moscou. «Si Poutine ferme définitivement le robinet de gaz, le recul du PIB devrait atteindre 4 à 5%», estime Franziska Holz, directrice adjointe du département Energie à l’Institut de recherche économique de Berlin. La récession serait alors équivalente à celle de la pandémie (-4,9% en 2020).
Une chose est sûre : le «second miracle économique» de l’ère Merkel est bien fini. L’économie allemande est pessimiste et beaucoup plus vulnérable. La crise a remis en cause tout un modèle basé sur la consommation de gaz russe bon marché (55% des importations avant la guerre en Ukraine) et des exportations sur un marché de libre-échange globalisé.
A lire aussi
Volkswagen, BMW et Mercedes vendent une voiture sur trois en Chine. Un marché qui sauve leurs bilans. «Cette dépendance n’est pas saine», a reconnu lui-même le libéral Christian Lindner. Personne ne voit dans ce contexte comment le ministre des Finances, chantre de la disciple budgétaire, arrivera à imposer en 2023 le retour promis du «frein à l’endettement» – inscrit dans la Constitution – qui a longtemps fait de l’Allemagne un modèle.
Crainte de mouvements antisystème
Comme conséquence, les responsables politiques craignent une rentrée sociale agitée avec une possible reprise de mouvements antisystème instrumentalisés par l’extrême droite. Les Allemands devraient sentir passer la crise en octobre lorsqu’ils recevront le premier rappel sur leur facture de gaz. Les anti-réfugiés de 2015, reconvertis en antivax en 2020, ont trouvé un nouveau terreau. On les voit déjà défiler tous les lundis (jour symbolique de la révolution de l’Allemagne de l’Est) dans quelques villes de l’ancienne RDA, réclamant l’arrêt des sanctions contre la Russie. Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères, n’a pas caché ses craintes de vivre à la rentrée des «soulèvements populaires», en cas d’arrêt total des livraisons de gaz russe, avant d’avouer qu’elle avait «un peu exagéré» par des propos alarmistes. Pour l’instant, personne ne sait quelle ampleur prendra cette crise sociale. Tout dépendra de Vladimir Poutine.