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Décryptage

Pourquoi l’Ukraine veut se retirer du traité d’interdiction des mines antipersonnel

Le président Zelensky a signé un décret, dimanche 29 juin, prévoyant la sortie du pays de la convention d’Ottawa. La Russie, non-signataire, fait déjà un usage massif de ces armes aveugles, qui mutilent les civils à long terme.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky à La Haye (Pays-Bas), le 24 juin. (Beata Zawrzel/NurPhoto. AFP)
publié le 29 juin 2025 à 18h32

Il n’existe pas de guerre propre, quoi qu’en disent certains militaires ou diplomates. Il y a en revanche des guerres sales, parfois très sales. En faisant peser des risques sur les civils, l’utilisation de mines antipersonnel, dans un conflit, y participe. Or le président Volodymyr Zelensky a signé dimanche 29 juin un décret prévoyant le retrait de l’Ukraine de la convention sur l’interdiction des mines antipersonnel. De son côté, la Russie, non-signataire du traité, utilise déjà massivement cette arme dite «défensive» en Ukraine. Décryptage.

Qu’est-ce qu’une mine antipersonnel ?

C’est un engin explosif destiné à mettre hors de combat, en blessant ou mutilant, un combattant adverse. Les mines antipersonnel sont souvent employées pour défendre une position, en saturant un espace que doit traverser l’ennemi pour progresser. Elles sont différentes des mines antichars, conçues pour détruire des véhicules blindés. Enterrées, elles se déclenchent automatiquement, sur une simple pression. Mais elles ne sont pas actionnées délibérément par l’homme : elles explosent à l’aveugle.

A long terme, quand le champ de bataille n’est plus actif, elles représentent un danger pour les civils. En 2023, 84 % des victimes des mines antipersonnel dans le monde étaient des civils, selon le rapport annuel de l’ONG Landmine Monitor, dont 1 500 enfants. La ligne de front de 1 000 kilomètres de long qui sépare l’armée ukrainienne des forces russes est aujourd’hui le plus long champ de mines de la planète. Selon le programme des Nations unies pour le développement, 23 % du territoire ukrainien est pollué par des mines terrestres et des munitions non explosées.

Que dit le droit international sur leur utilisation ?

La convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, dite convention d’Ottawa, bannit l’acquisition, la production, le stockage et bien sûr l’utilisation de ce type d’armes. Adopté en 1997, ce traité international est entré en vigueur en 1999. A ce jour, 164 Etats l’ont ratifié, dont l’Ukraine (et la France). Mais ni la Russie ni les Etats-Unis n’en sont signataires.

L’armée russe a fait un usage massif de ses mines antipersonnel dans le conflit ukrainien. Des «informations crédibles» indiquent également que les forces ukrainiennes en utilisent, dans des proportions bien moindres, d’après la Campagne internationale pour interdire les mines, un réseau d’organisations non gouvernementales.

Les Etats-Unis, eux, ont cessé d’utiliser des mines antipersonnel en 1991, et d’en produire depuis 1997. Mais ils disposent d’un stock important qu’ils sont prêts à céder à l’Ukraine. Ces explosifs sont donc «des mines antipersonnel obsolètes», vieilles d’au moins vingt-sept ans, dont «les batteries se détériorent avec l’âge», souligne Mary Wareham, de Human Rights Watch. Elles sont censées «expirer au début des années 2030». En novembre 2024, l’administration Biden avait autorisé l’envoi de ces mines en Ukraine.

«Ce sont des mines non persistantes. Cela signifie qu’elles sont alimentées par batterie, qu’elles peuvent être réglées et que cette batterie expirera au plus tard deux semaines après qu’elles ont été déployées, justifiait le 20 novembre le porte-parole du département d’Etat américain, Matthew Miller. Les mines terrestres seront déployées, et en deux semaines, si elles n’ont pas explosé, elles deviennent inertes. Donc elles ne représentent pas de menace envers la population civile à la fin du conflit.» Une affirmation à l’époque réfutée par le responsable département recherche sur les conflits et les crises d’Amnesty International, Brian Castner : «Une fois les batteries épuisées, ces mines ne sont pas inertes. Les explosifs sont toujours là. Et les autodestructions peuvent dysfonctionner. Le danger demeure, même avec ces mesures de sécurité.»

Pourquoi Zelensky veut-il sortir de la convention d’Ottawa ?

L’Ukraine ne s’en cache pas. Elle souhaite utiliser des mines antipersonnel sur son territoire pour empêcher, ou au moins ralentir, les avancées de l’envahisseur russe. La convention d’Ottawa l’en empêche : pour se mettre en conformité avec le droit international, Kyiv préfère se retirer du traité. Dans cette guerre d’agression, l’Ukraine sait qu’elle a la légalité internationale pour elle. Elle veille donc à en respecter les formes.

Dimanche, le ministère ukrainien des Affaires étrangères a qualifié dans un communiqué ce retrait de «difficile» mais «nécessaire et proportionné» au regard de «la priorité absolue qui est de défendre notre Etat contre l’agression brutale de la Russie». Cette décision doit encore être votée par la Rada, le Parlement ukrainien – où son adoption ne fait aucun doute. «C’est une mesure que la réalité de la guerre exigeait depuis longtemps, a défendu sur Facebook le député ukrainien Roman Kostenko, qui siège à la commission parlementaire sur la sécurité nationale. Nous ne pouvons pas rester tenus par des obligations [alors que] l’ennemi n’a aucune restriction.»

En mars, les trois pays baltes – Lituanie, Lettonie, Estonie – ainsi que la Pologne, tous alliés proches de l’Ukraine, ont également annoncé leur décision de quitter la convention d’Ottawa, devant la menace qu’ils estiment que l’armée russe fait peser sur leurs territoires. Le Comité international de la Croix-Rouge avait dénoncé un «dangereux recul pour la protection des civils dans les conflits armés».