Inna Semenivna et Vadim Bobrynceva se rencontrent à Vologda, au nord de Moscou, au mitan des années 1970. Lui pilote les Tupolev de la compagnie nationale russe, elle est une météorologue au visage d’ange. Le coup de foudre est immédiat. Les décennies passent, le couple donne naissance à deux enfants et quitte la Russie de Vadim pour l’Ukraine natale d’Inna, d’où ils verront l’Union soviétique se disloquer et leurs deux épaisses crinières passer du blond au blanc. Désormais septuagénaires, ils coulent des jours heureux à Mala Rohan, une bourgade de moins de 3 000 habitants, nichée aux creux des vallons boisés de la campagne à l’est de Kharkiv.
Jusqu’au 24 février. Le couple se réveille ce jour-là sous un déluge de feu : la grande Russie, distante d’une quarantaine de kilomètres de leur maison, lance sa gigantesque armée à l’assaut de la petite Ukraine. Il ne faudra que quarante-huit heures à l’envahisseur pour prendre le contrôle de leur village. Un groupe de soldats russes s’installe dans la maison d’Inna et Vadim, confisque les téléphones, pille les objets de valeur, installe cinq tanks dans le jardin et mine la rue. Le couple se claquemure dans la cave pendant deux longues semaines rythmées par de violents échanges d’artillerie ; après sa percée fulgurante, l’armée russe a échoué à entrer dans Kharkiv et se retrouve exposée dans la campagne alentour. L’armée ukrainienne reprend l’offensive et met en déroute le bataillon stationné à Mala Rohan. Le 12 mars, le couple profite