Pour lancer la présidence hongroise de l’Union européenne, Viktor Orbán a frappé fort. Pendant une dizaine de jours, début juillet, le Premier ministre hongrois s’est lancé dans une grande tournée internationale qui lui a fait rencontrer Volodymyr Zelensky à Kyiv, Vladimir Poutine à Moscou, Xi Jinping à Pékin et Donald Trump aux Etats-Unis. Ce périple diplomatique, modestement intitulé «mission pour la paix», a consterné les dirigeants européens. En plus d’offrir à Poutine une façade de dirigeant fréquentable, ces rencontres organisées au moment où Budapest prenait la présidence tournante de l’UE pour six mois jouaient sur l’ambiguïté de la casquette d’Orbán, en laissant entendre qu’il pouvait agir en tant que représentant des Vingt-Sept.
En réponse, Josep Borrell, le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères, a annoncé lundi qu’il organiserait une réunion des ministres des Affaires étrangères à Bruxelles fin août, à la date où ces mêmes ministres devaient se rencontrer à Budapest. Par cette manœuvre, il prive le gouvernement hongrois d’une étape symbolique de sa présidence et sanctionne Budapest pour «son manque de coopération loyale et sincère». Ce début de boycott des événements organisés par la présidence hongroise aura peu de conséquences, relativise Gergely Fejérdy, professeur à l’université de Budapest et chercheur associé à l’Institut hongrois des affaires étrangères, un groupe de réflexion proche du gouvernement hongrois. A ses yeux, le Premier ministre a déjà rempli ses objectifs.
Pourquoi Viktor Orbán a-t-il choisi d’entamer la présidence hongroise par cette «mission pour la paix» très décriée, où il a notamment rencontré Vladimir Poutine à Moscou ?
Sa campagne pour les élections européennes était déjà très marquée par cette rhétorique «guerre contre paix». C’est un mot d’ordre un peu idiot, parce que tout le monde veut la paix, mais chacun veut y parvenir à sa manière. Côté hongrois, on estime qu’il faut laisser les canaux de communication ouverts. On peut détester l’un des camps et soutenir l’autre, mais toutes les guerres se terminent quand les deux parties s’assoient à la même table.
Pourquoi le faire dès les premiers jours de la présidence ?
Ce timing est en effet plus étonnant, mais il a ses raisons. Cette «mission pour la paix» est une initiative hongroise, pas européenne, mais l’objectif d’Orbán était de faire une sorte de sondage auprès de tous les pays impliqués dans la guerre d’une manière ou d’une autre, pour ensuite en faire un compte rendu à ses partenaires européens. Avec cette casquette de la présidence tournante européenne, il a pu donner beaucoup plus de visibilité à cette initiative. Pour lui, ce n’est pas grave d’être critiqué, tant qu’il se fait entendre. Pour une fois, ses actions n’étaient pas dirigées vers l’opinion publique hongroise mais vers les citoyens européens. Il n’est d’ailleurs pas tout à fait exclu que ses efforts portent leurs fruits, puisqu’on parle en Hongrie d’une potentielle trêve en Ukraine pendant les Jeux olympiques [une éventualité très peu probable, ndlr].
Sur le plan européen, cette tournée n’a-t-elle pas été contreproductive ? Les voyages d’Orbán, en particulier à Moscou, ont été largement critiqués…
Les critiques sont marquées, mais elles ne sont pas exceptionnelles. Bien sûr, comme on parle d’Orbán, l’UE rouspète. Ils ont l’habitude de balayer d’un revers de main toutes les propositions qui viennent de lui. Mais Budapest a bien joué son coup. Orbán a secoué l’Europe, il a montré que si on attendait bras croisés la fin de la guerre en Ukraine, on ne s’en sortirait pas. Je le répète, mais il faut montrer que les canaux de communication sont toujours ouverts, avec tout le monde. D’ailleurs, on critique les Hongrois qui ne seraient pas assez pro-Ukrainiens, mais Orbán et Zelensky ont tout de même eu une heure de tête-à-tête à Kyiv. La Hongrie a aussi voté en faveur de toutes les sanctions contre la Russie, même si elles nous coûtent cher.
Pourtant, à Bruxelles, quelques figures parmi les eurodéputés et les ONG réclament que la présidence hongroise soit raccourcie… Josep Borrell vient aussi d’empêcher une réunion des ministres des Affaires étrangères de se tenir à Budapest en août.
Ces appels à raccourcir notre présidence me semblent scandaleux. Ils n’ont d’ailleurs pas été repris par les dirigeants européens. On peut critiquer la politique d’un pays, mais il faut respecter les règles du jeu, on ne peut pas le priver de ses droits. En Hongrie, ces critiques provoquent l’effet inverse de celui recherché par leurs auteurs. Quant à cette esquisse de boycott d’une réunion des ministres des Affaires étrangères annoncée par Borrell, je ne pense pas qu’il sera lourd de conséquences. Les dossiers gérés par la présidence sont très techniques et ils ont été préparés en amont par la présidence espagnole et belge [qui ont précédé la présidence hongroise]. En plus, avec cette transition entre deux commissions, il y a finalement peu de dossiers sur la table.
Viktor Orbán cherche-t-il aussi à peser sur la politique européenne à travers le groupe des Patriotes (extrême droite) qu’il a cofondé ?
C’est en tout cas son objectif. Mais malgré la taille du groupe [le troisième plus important du Parlement, ndlr], je pense que ce ne sera pas si facile. Les Patriotes rassemblent des partis tout de même assez différents et leur collaboration ne sera pas aisée. Beaucoup des eurodéputés du Fidesz [le parti de Viktor Orbán] siègent au Parlement depuis longtemps, ils ont connu l’époque où ils étaient intégrés au Parti populaire européen [conservateur] et je crois qu’au fond ils regrettent de ne pas avoir pu siéger avec un groupe plus modéré. Ce n’est pas si simple de se dire qu’aujourd’hui ils sont alliés avec le Rassemblement national. Certes, ces deux partis se disent «patriotes», mais ils n’ont pas forcément la même vision de ce que veut dire ce terme.
Par ailleurs, les eurodéputés RN, qui mènent le groupe, vont rester focalisés sur la situation en France. Cela ne va pas aider les Patriotes à peser à Bruxelles. Mais on peut tout de même imaginer qu’ils pourront poser quelques limites pour infléchir la politique de la Commission. Je pense notamment aux sujets migratoires, sécuritaires et à la guerre en Ukraine.