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Justice

Procès du naufrage meurtrier en Méditerranée : les accusés acquittés par la justice grecque

Migrants, l'hécatombedossier
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Neuf survivants comparaissaient pour avoir joué les passeurs présumés dans le naufrage de Pylos, qui avait fait plus de 600 morts en juin 2023. Une autre procédure est désormais en cours au tribunal naval du Pirée, qui doit permettre d’examiner les conditions d’un des «sauvetages» les plus tragiques de l’histoire.
Seule une centaine de personnes sur 750 a pu être secourue après le naufrage au large de la Grèce, le 9 juin 2023, du navire de pêche, l’Adriana, qui tentait de rejoindre l’Italie. (Menelaos Myrillas/SOOC via AFP)
par Fabien Perrier, Envoyé spécial à Kalamata
publié le 21 mai 2024 à 12h57

Il est 12 h 40 à Kalamata quand des applaudissements, des slogans, des youyous jaillissent dans le tribunal. Sur des joues, des larmes coulent. La cour s’est déclarée incompétente pour juger l’un des plus meurtriers naufrages de l’histoire : celui qui a eu lieu au large de Pylos, dans la nuit du 13 au 14 juin 2023, provoquant la mort de plus de 600 migrants. Les neuf exilés égyptiens qui étaient sur le banc des accusés depuis 9 heures du matin viennent d’être innocentés. Ce procès était historique en raison du nombre de victimes et des conditions dans lesquelles la tragédie a eu lieu. Son verdict l’est également : il constitue un important précédent pour les naufrages qui ont lieu en mer Méditerranée.

La tension était pourtant à son comble dans la salle d’audience, lorsque le procès a commencé. Il n’y avait pas assez de place dans la salle et la police a demandé aux journalistes de sortir : «C’est un procès public, les journalistes doivent rester, il faut trouver des chaises !» s’insurge une reporter grecque. La demande est reformulée à la présidente de la cour : première interruption de séance. Les avocats des accusés ont ensuite rappelé à la cour que le naufrage avait eu lieu dans des eaux internationales, et donc qu’elle était incompétente pour juger l’affaire : deuxième interruption de séance.

Quatre charges retenues

Mais la présidente semble rejeter la première objection. Elle a appelé à la barre le capitaine des garde-côtes qui a procédé à l’opération de sauvetage l’an passé, puis un des garde-côtes en poste à Kalamata, d’où ont été dirigées une partie des opérations. Elle voulait ainsi s’assurer du lieu exact du naufrage. La confirmation est sortie de la bouche des gardes-côtes : en eaux internationales. Elle a ensuite entendu les neuf accusés pour comprendre quelles étaient leurs intentions réelles : l’un après l’autre, ils ont confirmé qu’ils avaient payé un passeur en Libye pour se rendre en Italie. Troisième interruption de séance. Au retour, le réquisitoire de la procureure est clair : pour elle, la cour n’est pas compétente. Quatrième interruption de séance. Il est donc 12 h 40 quand le verdict est prononcé. La cour est incompétente.

Quatre charges étaient retenues contre les migrants : ils sont accusés d’avoir «transporté illégalement» des étrangers sans autorisation, d’avoir permis leur «entrée illégale en Grèce», d’avoir «causé un naufrage menant à la mort» de plusieurs personnes et d’avoir «participé à une organisation criminelle». Pour les deux premières charges, ils sont innocentés. L’intention n’était pas d’amener les migrants en mer. Pour les deux autres, la justice grecque s’est déclarée incompétente puisque le naufrage a eu lieu dans les eaux internationales.

Europe forteresse

Pour les avocats, c’est une victoire. Alexandros Georgoulis, une des neuf robes noires qui défendent les accusés, déclare que «la décision est juste». «Les neuf accusés, injustement emprisonnés depuis un an, seront libérés prochainement. Cela crée un précédent judiciaire qui sera appliqué dans d’autres cours par la suite.» Ce procès, qui était donc bien plus que celui de neuf hommes, éclaire d’un jour nouveau la politique migratoire grecque et européenne, et sa part d’humanité qui semble avoir été abandonnée en mer.

Le député de Kalamata, Alexis Charitsis, également leader du parti Nouvelle Gauche, était appelé à témoigner si le procès se tenait. Pour lui, «le gouvernement a essayé de faire de ces neuf victimes les responsables du naufrage. La cour a dit le contraire. Mais il ne faut pas s’arrêter là : il faut trouver la vérité sur ce qui s’est réellement passé et qui est responsable de ce naufrage. Les électeurs doivent avoir tout cela en tête quand ils iront voter en juin. Ce qui se passe est aussi le résultat de l’Europe forteresse érigée actuellement.» Pour les survivants, un autre combat commence : une procédure est en cours au tribunal naval du Pirée suite à la plainte déposée par 50 naufragés. Si elle aboutit, elle doit permettre d’examiner les conditions réellement d’un des «sauvetages» les plus meurtriers de l’histoire.