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Narcotrafic

Dans l’ombre de la cocaïne, l’ecstasy déferle aussi sur l’Europe

Europol et l’Agence de l’UE sur les drogues alertent sur le marché en plein essor de la MDMA, une substance devenue le deuxième stimulant le plus consommé en Europe derrière la cocaïne, d’après un rapport que révèle «Libération».
En plein essor, la MDMA est le deuxième stimulant le plus consommé en Europe derrière la cocaïne. (Science Photo Library /Getty Images)
publié le 28 mars 2025 à 19h59

En partie cachées par l’océan de cocaïne qui déferle sur l’Europe, d’autres substances tracent leur chemin dans l’ombre. Et leur trafic continue de croître. Telle la MDMA (méthylènedioxyméthamphétamine), composante de l’ecstasy et molécule de la famille des amphétamines. La MDMA, baptisée «drogue de l’amour» pour l’effet d’euphorie qu’elle procure, fait ainsi l’objet d’un vaste trafic sur le territoire européen.

Selon le rapport conjoint d’Europol et de l’Agence européenne sur les drogues que révèle Libération, le marché de la MDMA est en plein essor et pousse le trafic à s’étendre. D’après les conclusions du document, le chiffre d’affaires annuel du marché européen de la MDMA au détail est estimé à au moins 594 millions d’euros, soit 72,4 millions de cachets d’ecstasy consommés dans l’Union européenne. De quoi faire de l’Europe une place centrale du trafic de drogues de synthèse.

Cet essor s’explique d’abord par une importante demande. Selon les enquêtes de l’Agence européenne sur les drogues, la MDMA jouit d’une bonne image auprès des consommateurs. Elle peut être gobée en «parachute», en enveloppant la poudre dans une feuille de papier à cigarette, ou sniffée une fois les cristaux écrasés. Quant au cachet d’ecstasy, il arbore dorénavant des couleurs flashy, frappé de logos à la gloire de la pop culture, tels le personnage Super Mario, l’emblème du constructeur automobile Tesla ou encore la trogne de Donald Trump.

Au moins 48 laboratoires de fabrication de MDMA démantelés en Europe en 2022

La production de MDMA est bien une entreprise européenne qui ne connaît pas la crise. Selon Catherine De Bolle, directrice d’Europol, «l’Europe est un acteur clé du marché des drogues de synthèse et un fournisseur mondial de MDMA, tant pour la production que pour le trafic sur les marchés nationaux et internationaux.»

Historiquement, la production de cette drogue de synthèse se faisait aux Pays-Bas et en Belgique. «En 2013, plus de 80 % des laboratoires démantelés étaient situés aux Pays-Bas et en Belgique. Dans ces pays, des forces de police se sont spécialisées dans le démantèlement de ces laboratoires, pointe Rita Jorge, analyste à l’EUDA et spécialiste des drogues de synthèse jointe par Libération.

Selon elle, ces dernières années ont été marquées par une diversification des lieux de production en Europe, avec de nouveaux acteurs émergents. «Les organisations criminelles veulent éviter les contrôles de police et augmenter leurs profits. Alors elles passent les frontières et ciblent des pays d’Europe où les autorités locales ont peut-être moins d’expérience dans la lutte contre ce type de trafic, souligne Rita Jorge. Ce phénomène peut aussi s’expliquer par la volonté d’augmenter les profits et de toucher de nouveaux clients dans des zones moins concurrentielles».

Ainsi, des dizaines de «cuisines» où l’on confectionne la MDMA ont été démantelées en Pologne, en Allemagne, en Bulgarie ou encore en France. Au moins 48 sites en Europe ont été fermés par les autorités en 2022 contre 25 en 2021, selon les derniers chiffres de l’EUDA et d’Europol.

Décanteurs, fourneaux, tubes à essai, balances de précision… En janvier 2024, une opération menée par la police espagnole a permis le démantèlement d’un laboratoire de production installé dans une maison non loin de Valence, isolée dans une zone boisée. Environ 1 900 litres de MDMA liquide ont été saisis ainsi que 1 000 litres de précurseurs chimiques, indispensables à la fabrication de la drogue. De quoi produire deux tonnes d’amphétamines. A Valence, les trafiquants arrêtés étaient de nationalité néerlandaise, illustration d’un certain «savoir faire» flamand et d’une «industrialisation» de la production de MDMA selon l’Office antistupéfiants (OFAST).

Massivement consommée en Europe, la MDMA fabriquée sur le Vieux continent est aussi vouée à s’exporter. Le rapport conjoint d’Europol et de l’EUDA évoque l’essor du trafic de cette substance vers l’Amérique latine. Avec certaines méthodes prisées par les trafiquants. Telles que le troc de stups, sans contrepartie financière. «Depuis trois ans, les cas où les organisations criminelles échangent de la MDMA pour de la cocaïne sont en augmentation, relève Rita Jorge. En Amérique du Sud, la valeur marchande de la MDMA n’est pas la même qu’en Europe. Pour les trafiquants, ces nouveaux marchés sont d’un grand intérêt.»

La France, un pays de transit de la drogue

La France n’est pas épargnée par l’afflux d’amphétamines. Le 21 février, les agents des douanes ont mis la main sur 125 000 pilules, soit 63 kilos d’ecstasy dissimulés dans une voiture à destination de Paris. Une valeur marchande estimée à 1,2 million d’euros. «En France, en 2024, les saisies ont dépassé les 9 millions de comprimés ou équivalent en poudre, fait savoir auprès de Libération Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives. C’est une amplification considérable. Un chiffre inédit. La seule année 2024 a été marquée par des volumes de saisies de MDMA et d’ecstasy équivalents aux saisies réalisées durant toute la décennie

Outre le fait que les saisies réalisées représentent la face émergée de l’iceberg et sont soumises à l’activité des forces de l’ordre, «la France se distingue comme un pays de destination de la drogue mais surtout comme un pays de transit. Les trois-quarts des saisies effectuées en France sont destinés à l’étranger», souligne Ivana Obradovic.

En Europe comme en France, les stimulants sont en vogue. Sous sa forme en poudre, la MDMA concurrence la cocaïne sur le marché européen, en raison d’un prix beaucoup moins élevé. Alors que le gramme de cocaïne s’achète aux alentours de 60 euros, un pochon de MDMA de la même quantité coûte en moyenne 40 euros. Selon les dernières données de l’OFDT, pour la première fois le prix d’un cachet d’ecstasy est passé sous la barre des 10 euros.