Tout commence en 2012 lorsqu’un ancien professeur de karaté s’autoproclame roi. La cérémonie de couronnement pourrait ressembler à une parodie. Pourtant, Peter Fitzek n’esquisse aucun sourire. Manteau d’hermine sur les épaules, debout sur une scène éclairée par des chandeliers, l’homme d’alors 47 ans donne naissance au «Royaume d’Allemagne».
Le souverain a des principes clairs pour son «contre-Etat». Son royaume ne reconnaît ni l’autorité ni la légitimité du gouvernement allemand. Un seul régime trouve grâce à ses yeux : la monarchie du Ier Reich, en 1871. Pour justifier ses positions antiétatiques, il puise dans des théories conspirationnistes et antisémites.
Peter Fitzek aurait pu être un hurluberlu isolé. Mais en treize ans, son «Royaume d’Allemagne» a convaincu près de 6 000 sympathisants. L’organisation, finalement interdite par le ministère allemand de l’Intérieur mardi 13 mai 2025, était devenue un mouvement influent. Rainer Wendt, chef du principal syndicat de police du pays, a estimé que ses membres «ne sont pas des [gens] inoffensifs, mais des individus dangereux».
Une organisation avide de profits
Pendant plus d’une décennie, le pseudo-souverain crée tout un système : un drapeau, des lois, une monnaie, des cartes d’identité. Aux yeux du ministre allemand de l’Intérieur, Alexander Dobrindt, ce qui fait la spécificité de ce mouvement, c’est «son orientation résolument axée sur le profit». Pour devenir un sujet du roi Peter Fitzek, il faut s’acquitter de 374 euros. Une démarche, qui, d’après le site internet de «Royaume d’Allemagne», constitue la «première étape pour sortir du système» allemand. Le souverain certifie que ses sympathisants ont «un esprit pionnier», et souhaitent «apporter un changement positif dans ce monde». Il atteste qu’en devenant un résident du «Royaume d’Allemagne», ses partisans échapperont aux lois fédérales, et notamment aux impôts.
Pour séduire un nouveau public, Peter Fitzek organise régulièrement des journées portes ouvertes et des séminaires qui coûtent plusieurs centaines d’euros. Il y tient notamment des propos complotistes et antisémites, affirmant par exemple qu’une organisation juive serait responsable de la guerre en Ukraine. Le professeur de karaté recrute également grâce aux réseaux sociaux, comme Telegram, où il fait la promotion de son organisation.
Un royaume qui repose en grande partie sur l’exploitation des sympathisants
Les fonds accumulés permettent au groupuscule d’extrême droite d’acquérir des propriétés. En février 2022, Peter Fitzek achète un terrain de plus de 50 000 mètres carrés, d’une valeur de 2,3 millions d’euros dans la région de Eibenstock-Wolfsgrün (Saxe). «Royaume d’Allemagne» y installe un centre de séminaires, un hôtel, des zones agricoles, forestières et aquatiques. Quelques semaines plus tard, l’organisation se procure un château dans la Saxe. L’association d’extrême droite assure que ces biens sont le «territoire national» de son «Etat». Le royaume repose en grande partie sur l’exploitation des sympathisants, qui travaillent gratuitement à la rénovation des propriétés.
«Royaume d’Allemagne» n’est qu’un maillon au sein d’un réseau d’extrême droite plus important : le «Reichsbürger», «citoyens du Reich». Près de 40 organisations, partageant des idéologies complotistes et antisémites, se revendiquent de ce mouvement plus large. Au total, près de 23 000 individus seraient des sympathisants des «citoyens du Reich». Le «Reichsbürger» a défrayé la chronique à de nombreuses reprises. En 2022, les forces de l’ordre allemandes ont déjoué un coup d’Etat que ce groupuscule prévoyait de mener.