Menu
Libération
Décryptage

Qu’est-ce que New Start, le traité sur le désarmement nucléaire dont la Russie veut s’extraire ?

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
La Russie a décidé ce mardi de suspendre sa participation à ce traité sur le désarmement nucléaire, mis en place en 2010 sous l’impulsion de Barack Obama.
Barack Obama et Dmitry Medvedev se serre la main après la signature du traité, le 8 avril 2010. (Joe Klamar/AFP)
publié le 21 février 2023 à 19h53

C’était le dernier accord bilatéral du genre liant la Russie et les Etats-Unis. Or ce mardi, la Russie a décidé de suspendre sa participation au traité New Start sur le désarmement nucléaire. Libération revient sur ce traité, et les enjeux politiques et géopolitiques qu’il y a derrière.

Un héritage du «Reset»

Signé en 2010 par Barack Obama et le président russe de l’époque Dmitri Medvedev, le New Start est le fruit de la politique américaine du Reset : une stratégie de remise à plat des relations avec la Russie menée par Obama à son arrivée à la Maison Blanche en 2009. Le traité – qui succède aux traités Start de réduction des armes stratégiques – a pour ambition de relancer cette dynamique de désarmement nucléaire. «Quand Obama arrive au pouvoir, il pense que les puissances détentrices de l’arme nucléaire ont un rôle à jouer pour relancer la dynamique de non-prolifération, retrace pour Libération Isabelle Facon, spécialiste des politiques de sécurité et de défense russe et directrice adjointe de la Fondation pour la recherche stratégique. L’idée de ce traité est donc de relancer cette dynamique par le désarmement, selon les termes du traité de non-prolifération, avec en plus l’ambition d’améliorer les relations russo-américaines», poursuit-elle.

Pour les Russes, les négociations et les accords de désarmement sont à la fois un facteur de sécurité, et une marque de prestige international «puisque le nucléaire est l’un des seuls domaines où la Russie est à égalité dans sa relation avec les Etats-Unis», étaye Isabelle Facon. «Cette parité sous-tend la revendication de la Russie d’être reconnue comme une grande puissance, quel que soit l’état de son économie, de son PIB ou de son armée.»

Un traité plus robuste que les précédents

L’originalité de cet accord réside dans le fait que le traité limite les arsenaux des deux puissances nucléaires, pour chacune des deux parties, à un maximum de 1 550 ogives déployées chacun – soit une réduction de près de 30 % par rapport à la limite précédente fixée en 2002. Il limite aussi le nombre de lanceurs et bombardiers lourds à 800, ce qui reste suffisant pour détruire la Terre plusieurs fois.

Le traité implique aussi une série d’inspections mutuelles de sites militaires, un pilier de la politique de désarmement dite du «Faites confiance, mais vérifiez», prônée par l’ancien président américain Ronald Reagan. «C’était une autre garantie de transparence entre les deux principales puissances nucléaires», décrypte Isabelle Facon.

Prolongation jusqu’en 2026

Les négociations en vue du renouvellement du New Start avaient été dans l’impasse pendant toute la présidence de Donald Trump, qui voulait voir la Chine, autre puissance nucléaire majeure, être incluse dans les restrictions des arsenaux. Cependant, Moscou et la nouvelle administration de Joe Biden avaient trouvé un accord in extremis en janvier 2021 pour le prolonger de cinq ans, jusqu’au 5 février 2026, malgré un climat de grande défiance mutuelle.

Avant même l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, les relations entre Moscou et Washington étaient à un plus bas depuis la fin de la Guerre froide, entre désaccords persistants sur un nombre croissant de dossiers internationaux, accusations d’ingérence électorale, d’espionnage et vague massive de cyberattaques. L’accord de prolongation avait été promptement ratifié par le Parlement russe, puis validé par Washington.

Suspension des inspections et inquiétude internationale

Le 9 août 2022, la Russie avait annoncé suspendre les inspections américaines prévues sur ses sites militaires dans le cadre du traité, assurant agir en réponse à des entraves américaines aux inspections russes similaires aux Etats-Unis. Alors que le ton était un peu retombé après les menaces d’une frappe nucléaire de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, une réunion avait été prévue du 29 novembre au 6 décembre 2022 au Caire pour discuter d’une possible reprise des inspections. Mais la veille de la réunion, Moscou avait annoncé son report sine die, accusant Washington d’«hostilité» et de «toxicité». Le 1er février 2023, la Russie ont accusé les Etats-Unis d’avoir «détruit le cadre juridique» du traité.

Pour autant, le fait que Moscou ait décidé de suspendre sa participation au traité, plutôt que de s’en retirer complètement, peut apparaître comme une preuve de son attachement à ces textes. «Le conflit met en présence de facto des puissances nucléaires. En tout cas, vu de Moscou, les Etats-Unis participent à cette guerre. Il n’est pas impossible que la visite de Biden ait pu être une des motivations de l’annonce de cette suspension, expose Isabelle Facon. Mais la suspension n’est pas un retrait. Moscou veut peut-être laisser la porte entr’ouverte pour le cas où les choses s’arrangent. Ou plus sûrement, “stimuler” les acteurs qui, en Europe ou aux Etats-Unis, parce qu’ils sont sensibles au risque d’escalade dans ce conflit et inquiets du détricotage de l’architecture de désarmement, appellent au lancement rapide de négociations pour mettre fin au conflit», ajoute-t-elle.

De son côté, le gouvernement britannique a appelé mardi Vladimir Poutine à revenir sur sa «décision irréfléchie», invoquant que «le contrôle des armements est vital pour la sécurité de notre planète». La France, par le biais du ministère des Affaires étrangères, a demandé à la Russie de «faire preuve de responsabilité et à revenir au plus vite sur son annonce de suspension», avant de rappeler que «le traité New Start constitue un instrument essentiel de l’architecture internationale de maîtrise des armements nucléaires et de stabilité stratégique».