Les analystes militaires se perdent, ce dimanche 25 juin, en conjectures sur les effets de la rébellion avortée de Wagner et de son chef, Evgueni Prigojine. Si leurs conclusions diffèrent, beaucoup s’accordent sur les gagnants de cette folle journée – en l’occurrence, le président du Bélarus, Alexandre Loukachenko, qui avait tout à perdre d’une possible chute de Vladimir Poutine – et sur les perdants à court terme : Poutine, l’effort de guerre russe en Ukraine et les mercenaires de Wagner qui n’étaient pas avec Prigojine, et qui sont supposés maintenant incorporer les forces régulières du ministère russe de la Défense.
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Tous s’accordent aussi sur le besoin d’en savoir plus sur l’accord qui a mis fin à la rébellion et, en particulier, sur ce qu’en a reçu Prigojine. Samuel Bendett, analyste spécialiste des questions russes au Center for Naval Analyses, un organisme de conseil de l’armée américaine, est cité par le Guardian sur ce sujet : «Nous avons à ce stade plus de questions que de réponses. Mais nous savons déjà que Prigojine a la vie sauve, qu’il peut partir libre au Bélarus après avoir mené une rébellion ouverte contre le Kremlin, avoir forcé la capitale à se barricader et abattu au moins six hélicoptères de l’armée russe en cours de route. Difficile de croire que Wagner pourra continuer à exister de la même manière, il est tout aussi difficile d’imaginer l’armée russe accepter de combattre à leurs côtés.»
Le président russe «très affaibli»
Rob Lee, spécialiste des forces russes au think-tank indépendant Foreign Policy Research Institute, a également mis en avant l’impossibilité pour Poutine de respecter l’accord avec Prigojine : «On nous dit que Wagner va intégrer les forces régulières, mais comment, sur quelles bases ? Beaucoup des nationalistes en place au ministère de la Défense ne peuvent accepter qu’un mercenaire qui a combattu dans une mutinerie ouverte contre les soldats russes, en tuant au moins 20 d’entre eux, puisse en sortir indemne, avec la promesse de mobiliser ses soldats, qui de toute façon ont tout lieu d’être mécontents des résultats de cette journée. Il paraît évident qu’une fois la situation maîtrisée, ils demanderont à renier cet accord et chercheront à publiquement humilier Prigojine, sinon pire.»
Billet
Le Institute for the Study of War (ISW), un think-tank basé à Washington et réputé proche des services de renseignements américains, a publié un rapport sur les événements, qui conclut que le Kremlin est désormais confronté à un équilibre profondément instable : «L’accord négocié par Loukachenko est une solution à court terme mais ne pourra contenir encore longtemps une situation qui aura considérablement affaibli Vladimir Poutine, son ministre de la Défense, les forces armées régulières, les services de renseignements russes, la propagande russe et la parole de l’Etat.» Sans aller jusqu’à prédire la chute de Poutine : «Nous ne pouvons pas et ne voulons pas spéculer sur les impacts concrets de la rébellion de Prigojine, mais nous ne prévoyons pas un effondrement imminent du gouvernement russe, comme certains l’ont fait. Néanmoins, cet événement va probablement nuire considérablement au gouvernement de Poutine et à l’effort de guerre russe en Ukraine.»
Interview
De nombreuses failles révélées en une seule journée
Les scénarios selon lesquels la rébellion de Prigojine, la réponse du Kremlin et la médiation de Loukachenko ont toutes été mises en scène par le Kremlin ne convainquent pas les auteurs du rapport : «Ces hypothèses sont absurdes. L’image de Poutine apparaissant à la télévision nationale pour appeler à la fin d’une rébellion armée et avertir d’une répétition de la révolution de 1917 – pas moins que ça – puis quémander après la médiation d’un dirigeant étranger afin de résoudre une rébellion intérieure est humiliante et aura un impact durable sur sa gouvernance.» Et de détailler toutes les failles qui ont été révélées en une journée : la faiblesse des forces de sécurité russes ; l’incapacité de Poutine à utiliser ses forces en temps opportun pour repousser une menace interne ; la marche rapide de Prigojine vers Moscou, qui a ridiculisé une grande partie des forces régulières russes ; la dégradation des réserves militaires russes, qui sont presque entièrement engagées dans les combats en Ukraine ; le danger de dépendre de conscrits inexpérimentés pour défendre les frontières de la Russie ; le silence médiatique du Kremlin face aux vidéos efficaces de Wagner ; la liesse des habitants de Rostov, qui ne se sont pas opposés à Wagner et, dans certains cas, les ont chaleureusement accueillis ; et la surprise apparente du Kremlin face aux événements, qui questionne l’efficacité des services de renseignement intérieur russes, le FSB.