Menu
Libération
Profil

Reconduction d’Ursula von der Leyen à la Commission : la femme qui ne dérange pas les Etats

Maintenue pour cinq années supplémentaires à la tête de la Commission européenne, l’ancienne ministre allemande, un temps considérée comme l’héritière d’Angela Merkel, ne porte pourtant aucune vision pour l’Europe. Ce qui arrange tant Paris que Berlin.
Ursula von der Leyen à Münster, dans l'ouest de Allemagne le 28 mai 2024, pour la remise du prix international de la Paix de Westphalie à Emmanuel Macron. (Jana Rodenbusch/AP)
par Jean Quatremer, Correspondant européen
publié le 27 juin 2024 à 19h47

A Bruxelles, personne n’aurait regretté qu’Ursula von der Leyen ne soit pas reconduite pour un nouveau mandat de cinq ans. Beaucoup, tant à la Commission que dans les autres institutions, l’espéraient même, Emmanuel Macron ayant laissé entendre que la chrétienne-démocrate allemande n’était plus la femme de son cœur depuis qu’elle avait accepté d’être la tête de liste («Spitzenkandidat») des conservateurs du PPE. Mais la dissolution surprise de l’Assemblée nationale a brusquement affaibli politiquement le chef de l’Etat et a emporté tous les scénarios alternatifs que l’Elysée avait fait fuiter depuis plusieurs mois : la reconduction de Von der Leyen est en fait devenue inévitable le 9 juin à 21 heures…

Encore une fois, cette femme menue âgée de 65 ans, mère de 7 enfants, issue de l’une des plus vieilles familles patriciennes d’Allemagne (les Albrecht), fait la preuve qu’elle est en téflon, les critiques et les scandales qui ont émaillé sa carrière glissant sur elle. Car si elle a fait une brillante carrière politique entamée tardivement (à 44 ans), elle n’a pas toujours brillé, loin de là, laissant un souvenir plus que mitigé à ses concitoyens allemands.

Choisie par Macron

Elle doit son ascension à Angela Merkel, au point qu’elle a un temps été considérée comme son héritière, qui la nomme ministre de la Famille en 2005, puis ministre du Travail en 2009, et enfin ministre de la Défense à partir de 2013. C’est à ce dernier poste qu’elle atteint son niveau d’incompétence. Ne faisant confiance à personne, si ce n’est à ses très proches qu’elle a d’ailleurs emmenés à Bruxelles, en particulier Bjoern Seibert, son actuel chef de cabinet, et Jens Flosdorff, un ancien journaliste, elle a réussi à paralyser un ministère qui ne brillait déjà pas par ses performances. En outre, elle a été accusée d’avoir dilapidé 100 millions d’euros en frais de consultance et d’avoir détruit des SMS concernant ces marchés douteux… En 2019, elle était devenue un canard boiteux du gouvernement et on prêtait à Angela Merkel l’intention de s’en débarrasser lorsque, divine surprise, Emmanuel Macron proposa de la nommer présidente de la Commission.

Née en 1958 à Bruxelles, où son père, Ernst Albrecht, a été l’un des fondateurs de l’exécutif européen, elle a séduit le chef de l’Etat, notamment parce qu’elle est censée être parfaite francophone – comme il l’expliquera pour justifier son choix. Un mensonge, à tout le moins, personne ne se souvenant de l’avoir vu converser ou négocier en français. En revanche, elle est parfaite anglophone et durant son mandat, elle a imposé l’anglais comme unique langue de travail de la Commission. Il faut dire que ses deux hommes liges, Seibert et Flosdorff, ne parlent pas un mot de français, ce qui est pour le moins gênant pour comprendre la situation politique d’un des deux principaux pays de l’Union.

«Management paranoïaque»

Durant son mandat, elle a imposé les méthodes de gestion qui n’avaient pourtant pas fait son succès au ministère allemand de la Défense : fonctionnement pyramidal, micromanagement, refus des débats au sein du collège et des contacts avec la presse (en dehors des médias allemands). Un symbole : contrairement à tous ses prédécesseurs, elle ne vit pas en ville, mais s’est fait construire un studio à côté de son bureau qu’elle ne quitte que pour rentrer à Hanovre… «Un management paranoïaque», décrit un haut fonctionnaire de la Commission, les fonctionnaires étant perçus comme des traîtres en puissance, et les autres institutions comme des compétiteurs dont il faut se débarrasser.

Tout cela ne serait pas grave si Ursula von der Leyen avait une vision pour l’Europe et s’était mise au service de cette idée, comme Jean-Claude Juncker ou Jacques Delors avant elle. Or, ce n’est pas le cas : c’est juste une excellente secrétaire générale du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, comme le fut le Portugais José Manuel Barroso (2004-2014). Ainsi, le Pacte vert est une idée française, tout comme le grand emprunt européen post-Covid ou l’aide militaire et financière à l’Ukraine. Ursula von der Leyen ne bouge que si elle est certaine que Berlin et Paris sont sur la même longueur d’onde. Rarement la Commission n’a produit aussi peu d’idées, mais c’est sans doute ce qui plaît aussi aux capitales qui n’aiment pas être bousculées.