Cinq ans et demi derrière les barreaux pour des mots qui auraient été tenus en privé. La justice russe a condamné ce mardi 12 novembre à de la prison ferme Nadejda Bouïanova, une pédiatre de Moscou, accusée par la mère de l’un de ses patients d’avoir critiqué l’assaut russe en Ukraine lors d’une consultation. «Aucune preuve n’a été présentée !» a fustigé face aux journalistes l’un de ses avocats, Oscar Tcherdjiev, jugeant la peine «sévère et illégale». D’autant que dans cette affaire, c’est parole contre parole : «Je ne reconnais pas ma culpabilité, je suis innocente, s’était émue la médecin de 68 ans, en pleurs, avant le début d’une audience précédente. Rien de cela n’est vrai.»
Liberté de la presse
«Honte à vous !» ont crié des partisans de la pédiatre à la lecture du verdict par la juge Olga Fedina. Quelques instants auparavant, Nadejda Bouïanova avait dénoncé une procédure «absurde» à son encontre. Le parquet avait réclamé six ans de prison ferme, tandis que la défense avait demandé l’acquittement de la Dr Bouïanova, qui a continué de clamer son innocence face à la cour.
L’accusatrice sortie «nerveuse et mécontente» d’une consultation
Cette affaire illustre l’impitoyable répression visant les voix critiques, réelles ou supposées, de l’offensive de grande ampleur de l’armée russe contre l’Ukraine ordonnée en février 2022 par le président Vladimir Poutine. Les arrestations pour espionnage, trahison, sabotage, extrémisme ou pour de simples critiques de l’armée, se multiplient avec à la clé de très lourdes peines de prison pour les accusés, souvent victimes de dénonciations. La veille de la condamnation de Nadejda Bouïanova, un tribunal russe avait rejeté l’appel de Ksenia Karelina, une citoyenne russo-américaine condamnée à douze ans de prison pour «trahison» pour avoir fait un don de 50 euros à une organisation de soutien à l’Ukraine.
Enquête
Pour Nadejda Bouïanova, le calvaire a débuté le 31 janvier quand la compagne d’un soldat porté disparu au front en Ukraine, Anastassia Akinchina, 34 ans, l’a dénoncée. Cette mère d’un garçon de sept ans soigné par la pédiatre l’a accusée de lui avoir dit lors d’une conversation privée que son mari disparu en Ukraine «était une cible légitime» pour les forces armées ukrainiennes et que «la Russie était un pays agresseur et attaquait les civils ukrainiens». Une version réfutée par Nadejda Bouïanova qui a décrit Anastassia Akinchina comme «une personne au caractère instable», sortie «nerveuse et mécontente» d’une consultation pour traiter un orgelet de son enfant.
Placée en détention pour «diffusion de fausses informations»
A la suite de ces accusations, la pédiatre avait immédiatement été licenciée et avait eu seulement dix minutes, raconte-t-elle, pour faire ses affaires et quitter l’hôpital dans lequel elle travaillait depuis quatre ans. Mais son cauchemar était alors loin d’être terminé : elle a ensuite été inculpée en février et placée en détention en avril pour «diffusion de fausses informations» sur l’armée russe qui aurait été motivée par la «haine ethnique».
Nadejda Bouïanova habite en Russie depuis trente ans mais est née à Lviv, grande ville de l’ouest de l’Ukraine, considérée en Russie comme étant le bastion du nationalisme ukrainien. «Quelle haine pourrais-je ressentir ? s’était défendue la pédiatre la semaine dernière face à la cour, avant de fondre en larmes et de relever le manque de preuves à son encontre. Je suis liée à trois peuples slaves : la Russie, le Bélarus, l’Ukraine.» Les collègues de Nadejda Bouïanova ont lancé une pétition de soutien en ligne. Son licenciement avait été annulé en juillet par un tribunal de Moscou, sans que cela n’ait de conséquence sur les poursuites pénales.